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bureaux de bienfaisance, où leur pureté a couru de tels risques. Quoi encore? Au milieu de tout cela, le parti légitimiste a ses crises ministérielles avant d’avoir des portefeuilles à donner, et ses rivalités d’influences avant que ces influences puissent agir dans un domaine très réel. Les habiles l’on t écrit dans leur dernier et triomphant bulletin : la politique des vieux ducs est battue dans les conseils de l’héritier des Bourbons, — pour faire place probablement à la politique des jeunes ducs! Qu’est-ce donc, pourra-t-on dire, que la politique des jeunes ducs? Il n’est point aisé de l’éclaircir. C’est peut-être la politique que le succès du 2 décembre a enivrée et éclairée sur le danger des concessions; aussi s’arrange-t-elle pour n’en point faire. Ce n’est point elle, à coup sûr, qui ajoutera une maille de plus à cette toile de Pénélope qu’on sait, œuvre de tant de mains éprouvées et toujours plus avancée la veille que le lendemain. Le propre de la jeune politique, au reste, c’est de n’être point jeune, ni par les hommes ni par les choses, et de recommencer au contraire une vieille histoire, celle des préoccupations et des illusions d’un autre temps, lorsqu’on croyait, avec des manifestes, des déclarations et de petits écrits, subjuguer la France attachée au char impérial. On avait soin de ne point trop s’avancer, de calculer les promesses, de peser les mots, après quoi rien ne semblait plus facile et plus infaillible que le succès. Joseph de Maistre, qui était moins accessible à ces illusions du moment, tout en gardant ses grands pronostics pour l’avenir, écrivait au comte d’Avaray : « Le monde est plein de choses aisées qui sont cependant impossibles. » Le moyen de les rendre possibles, ce n’est point de fausser compagnie à toutes les réalités de notre temps et de s’agiter dans un tourbillon de puérilités et de petites querelles. Les partis sont comme les gouvernemens : ce n’est point à leurs adversaires qu’ils doivent leurs plus rudes blessures; c’est à eux-mêmes, à leurs fautes, à leurs entraînemens. La pire de toutes leurs fautes, c’est de ne point savoir agir quand ils ont le pouvoir, et de ne point savoir se taire quand le silence serait une politique.

A côté de ces incidens, qui se détachent d’une manière plus particulière peut-être au sein du calme intérieur, faut-il aller chercher quelques autres symptômes des temps actuels? Passons de ces hautes sphères sociales à un monde où se remuent de tout autres problèmes. Il y a une chose en effet qu’on ne saurait négliger, c’est l’espèce d’agitation qui semble régner depuis quelques jours dans diverses agglomérations ouvrières. Cette agitation se manifeste par des grèves nombreuses et fréquentes sur les points les plus opposés du pays. A Paris, à Saint-Étienne, à Angoulême, on voit presque simultanément les ouvriers des chemins de fer et de plusieurs autres industries suspendre tout à coup leur travail. Il n’y a point sans doute à exagérer ce mouvement, bien que l’ensemble avec lequel il se produit soit au moins étrange. D’abord il ne s’y révèle aucun caractère politique; en outre, ce qui eût été grave en 1848 l’est évidemment moins aujourd’hui avec les garanties nouvelles de l’ordre public. N’est-ce point cependant l’indice des impressions et des habitudes laissées dans l’ame des populations ouvrières par la propagation des doctrines révolutionnaires? De telles impressions sont lentes à s’effacer. Ce n’est point en un jour qu’on peut rectifier les idées bouleversées sur les conditions du travail, la liberté des industries et les variations des salaires.