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REVUE DES DEUX MONDES.

MOYEN-AGE, par Francisque Michel. — Le sujet qu’a traité M. Francisque Michel touche aux questions les plus intéressantes de l’histoire du moyen-âge, l’industrie, le commerce, les voyages et la navigation, en un mot les rapports de l’Occident avec l’Orient. Il fallait toute la persévérance de M. Francisque Michel et sa connaissance approfondie des monumens écrits du moyen-âge pour entreprendre une pareille tâche et s’en tirer si heureusement. Chroniques, romans de chevalerie, édits royaux, ont été feuilletés, analysés, expliqués par lui avec une remarquable patience et une critique toujours judicieuse. Des renseignemens encore plus précieux lui ont été fournis par l’examen des étoffes anciennes qu’on voit dans quelques églises ou dans des musées. On sait qu’ordinairement les reliques, à leur levée, étaient enveloppées dans de riches tissus. Ces tissus, et quelquefois des vêtemens entiers, ont été conservés par un respect traditionnel comme les cendres mêmes des saints. On montre à Chinon la chape de saint Mesme, à Durham la robe de saint Cuthbert, à Sens les habits pontificaux de Thomas Becket. Enfin les relieurs du moyen-âge ont pris soin de faire parvenir jusqu’à nous quelques échantillons des plus précieuses étoffes de leur temps, en intercalant entre les feuillets des manuscrits des morceaux de tissus fins et moelleux destinés à préserver du frottement les miniatures et surtout les grandes lettres ornées et revêtues de feuilles d’or ou d’argent. C’est d’après ces rares débris qu’on peut apprécier l’industrie de nos aïeux, et ils suffisent d’ailleurs pour prouver qu’elle était fort avancée. En 1835, un habile industriel de Saint-Chamond a pris un brevet d’invention pour la fabrication d’une certaine étoffe dont on a découvert depuis des échantillons dans un manuscrit de Théodulphe. Ainsi l’on trouve ou l’on retrouve, au XIXe siècle, des inventions du VIIIe. Dans son premier volume, M. F. Michel esquisse rapidement, trop rapidement peut-être, l’histoire de la fabrication de la soie depuis son origine immémoriale chez les Chinois jusqu’à la fin du XIIIe siècle. Depuis long-temps importée en Europe, elle est alors, pour quelques villes d’Italie, l’objet d’un commerce très lucratif. On peut juger de l’extension rapide de cette industrie par les noms des étoffes en usage qui, pour leur variété, ne le cèdent point à nos annonces modernes. Malheureusement il est bien difficile de déterminer exactement la nature des étoffes mentionnées par les auteurs du moyen-âge, et il serait fort injuste de reprocher à M. Michel de ne pas nous expliquer toujours en quoi tel tissu diffère de tel autre. Qui sait aujourd’hui ce qu’était la Brésilienne ou la Zéphyrine à la mode il y a dix ans ? Il ne faut donc pas s’étonner que le livre de M. Michel n’apprenne pas à distinguer parfaitement le Siglaton du Cendal ou du Tiercelin. Si les textes nombreux qu’il cite ne peuvent satisfaire pleinement la curiosité des fabricans modernes, ils intéresseront l’érudit et l’antiquaire et lui apprendront peut-être maint fait curieux qui ne se rapporte pas à la fabrication de la soie, mais qui révèle un usage antique, éclaircit un point de linguistique ou même une question d’Histoire. M. Michel est un guide excellent, qui ne mène pas toujours au but par le plus court chemin, mais avec lequel la route est toujours amusante, car il ne perd jamais l’occasion de vous montrer ce qu’il y a de beau et de curieux dans le pays qu’on parcourt avec lui.


P. MERIMEE.



V. de Mars.