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Les jours où l’escadre n’appareillait pas, l’amiral se rendait à bord du premier venu de ses vaisseaux, le faisait mettre sous voiles et s’en allait avec lui jeter l’ancre au pied d’une falaise sur laquelle un but avait été placé. Pendant que le vaisseau ouvrait son feu contre ce but, l’amiral parcourait les batteries, questionnait les hommes, les faisait tirer devant lui à un, à deux boulets, à mitraille, leur signalait les effets de leur tir, et ne négligeait rien enfin de ce qui pouvait les familiariser avec leurs armes. Puis il allait causer gaiement avec les jeunes officiers, comme s’il eût été l’un d’entre eux. On comprend que le désir de satisfaire un pareil chef fût extrême, et qu’on sourît avec lui à l’espoir de mettre en pratique pour le service du pays ce qu’on apprenait si bien sous son commandement.

C’est ici le lieu de dire combien M. l’amiral Lalande était populaire parmi les matelots. L’audace dont il donnait des preuves chaque jour contribuait surtout à lui gagner les cœurs. Chez nous, un homme audacieux a de quoi racheter bien des défauts. L’amiral en outre était toujours poli avec ses inférieurs, autre qualité qui fait aimer le commandement. Enfin il s’occupait avec un soin vraiment paternel du bien-être des équipages : leur nourriture était l’objet de sa constante sollicitude. L’incertitude des événemens faisait un devoir de ne pas consommer les provisions que chaque navire portait avec lui. Ces provisions, farine, biscuit, viande salée, fromage, vin, café, sont de vraies munitions qui, en cas de guerre, fournissent les moyens de poursuivre des opérations de longue durée. Il faut donc n’y toucher qu’avec une prudente économie, sous peine de se voir, au milieu d’un blocus ou de toute autre entreprise de guerre, forcé de rester à mi-chemin, ou exposé aux longueurs et quelquefois aux périls d’un ravitaillement. Cependant, s’il est nécessaire de ménager ainsi les vivres de campagne, ce n’est pas chose facile, en pays turc surtout, de pourvoir à la nourriture journalière de dix mille hommes, et le soin d’épargner les deniers de l’état n’est guère compatible avec la nécessité de conserver par une bonne et saine alimentation la santé des équipages. On avait trouvé à Smyrne un négociant qui s’était engagé à fournir les vivres de l’escadre partout où elle irait ; les îles de la Grèce donnaient un vin excellent ; les bœufs ne manquaient pas sur la côte d’Asie ; il n’y avait que le pain qu’on se procurait avec beaucoup de peine. Ceux-là seuls qui l’ont expérimenté peuvent savoir ce qu’il en coûte pour faire exécuter un marché par des agens commerciaux ; cela est peut-être moins difficile que de conduire une flotte, mais assurément cela donne plus de soucis et de peines. M. l’amiral Lalande se livrait à cette tâche avec assiduité et avec succès, et ses équipages, qui en recueillaient le fruit, lui en avaient une extrême reconnaissance.

J’ai déjà laissé entendre que, si la discipline était bonne dans