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II.

La flotte revint à Toulon. Une nouvelle ère s’ouvrait pour elle. Elle n’avait plus rien à acquérir, mais elle pouvait tout perdre. Il fallait d’abord la préserver de la destruction, parer les coups publics et cachés que voulaient lui porter quelques-uns des économistes des assemblées. C’est incontestablement le devoir de la représentation nationale de soumettre l’emploi des deniers publics à de scrupuleuses investigations et de supprimer toutes les dépenses qui ne lui paraissent pas justifiées ; mais ces suppressions doivent être faites en connaissance de cause, surtout en ce qui concerne un service comme celui de la marine. Plus d’un ignorant faisait ce raisonnement : « Nous n’avons pas besoin de vaisseaux cette année ; nous sommes en paix avec tout le monde, nous n’avons aucune négociation à appuyer, aucune influence extraordinaire à exercer. Supprimons l’escadre, licencions les équipages, désarmons les navires : voilà une grosse économie réalisée. Si, d’ici à l’année prochaine, nos relations étrangères réclament l’emploi de forces navales, nous en serons quittes pour réarmer ; nous retrouverons notre flotte, et nous aurons économisé une année de solde, les vivres, l’usure du matériel, etc. » À cela l’homme pratique répondait : « Si vous agissez ainsi, vous faites une opération désastreuse. En ce qui touche le matériel, les dépenses du désarmement et du réarmement à de si courts intervalles l’emporteront de beaucoup sur celles de l’entretien. Quant au personnel, vous aurez jeté au vent l’organisation de vos équipages, l’expérience acquise, les traditions, toutes choses auxquelles il faut du temps et de la suite, et que l’argent ne remplace pas. » Tel fut le terrain sur lequel nos hommes d’état eurent à lutter chaque année pour la conservation de l’escadre. Leurs efforts furent heureusement couronnés de succès, et si des réductions rigoureuses vinrent successivement la frapper de 1839 à 1852, sa permanence au moins fut respectée ; il n’y eut point un seul jour d’interruption dans son existence. — Il faut en remercier le ciel, car nous ne sommes pas dans un temps où l’on croie que les institutions qui ont échappé aux faiblesses et aux maladies de leur enfance aient acquis par là le droit de vivre et de se perpétuer. Nous avons craint pour la flotte le zèle inconsidéré des prédicateurs d’économie dans les dernières années de la monarchie ; nous avons craint pour elle les réformes révolutionnaires de 1848 ; aujourd’hui qu’elle a échappé à ce double péril, il ne nous paraît plus possible que son existence soit remise en question. La flotte est reconnue par tous comme un des élémens nécessaires de notre force nationale et de notre influence politique. Quel que soit le gouvernement de la France, quelque indifférent