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qu’il puisse être au maintien de ce qui, par son essence, ne peut peser d’aucun poids dans nos luttes intestines, nous avons confiance qu’il n’osera porter la main sur l’escadre.

Si la tâche du gouvernement appelé à défendre les forces navales du pays contre le peu de lumières de nos assemblées fut quelquefois bien laborieuse, celle de nos amiraux eut aussi ses difficultés. Il ne s’agissait plus de créer, il fallait conserver : œuvre de bon sens et d’abnégation dont tout le monde n’est pas capable. Nul n’y était plus propre que l’amiral Hugon, qui venait de remplacer l’amiral Lalande. L’amiral Hugon, vieux matelot des guerres de l’empire, excellent marin, chef universellement respecté, témoigna de la fermeté et de la droiture de son esprit, en ne recherchant d’autre honneur que celui de conserver ce qu’avait fait son prédécesseur.

La nature humaine est ainsi faite, que chacun est plus content de soi-même que des autres, et a plus de foi dans ses œuvres que dans les leurs. Qu’un homme succède à l’exercice de l’autorité, dans l’ordre militaire ou civil, sur terre ou sur mer, vous le verrez rarement résister à la tentation de faire autrement que son devancier. N’a-t-il pas, lui aussi, ses idées à appliquer ? Ne faut-il pas qu’il imprime aux choses le cachet de son esprit, et laisse une trace de son passage ? Dans l’administration d’un arrondissement comme dans celle d’un royaume, on a toujours remarqué les esprits assez modérés et assez sages pour continuer simplement le bien fait avant eux. Pourquoi, à bord d’une escadre, serait-on moins tenté qu’ailleurs de se singulariser dans l’exercice du commandement, et d’attacher son nom à quelque célèbre innovation ? M. l’amiral Hugon avait une assez bonne renommée pour être dispensé de cette sorte d’ambition ; il avait l’esprit et le cœur trop droits pour innover au seul profit de son amour-propre : il fit de l’escadre de l’amiral Lalande son escadre, et il adopta toutes les idées, et rien que les idées, qui avaient été appliquées avant lui.

Je ne saurais trop appeler l’attention sur cette sage conduite, imitée depuis par tous les amiraux qui ont successivement commandé l’escadre. C’est peut-être le plus grand service qui ait été rendu à notre marine. Donner ainsi à ce qui existait la consécration du temps était à coup sûr la plus féconde des améliorations, là où tout avait si long-temps flotté dans le provisoire. La force navale cessait d’être un édifice improvisé, sans assiette et sans base solide, destiné à être emporté au premier souffle : elle acquérait la permanence dans son organisation intérieure, et, par ce seul fait, elle allait bientôt avoir, comme notre armée de terre, un ensemble de règlemens sanctionnés par l’expérience ; elle allait avoir des traditions, et ces traditions deviendraient obligatoires et respectées comme des lois.

L’amiral Hugon fut secondé dans ses nobles efforts par le personnel