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mâts et des vergues brisés, et encore ce dernier vaisseau était-il arrivé juste à temps pour arrêter une voie d’eau qui menaçait de l’engloutir.

Je n’ai pas cédé ici à la fantaisie puérile de faire une description de tempête ; c’est un épisode de la vie de notre escadre, c’est une des journées de son éducation que j’ai voulu raconter. Si ces crises redoutables de la nature font éclater toute la faiblesse de l’homme et lui montrent de bien près son néant, elles témoignent aussi de sa force et de ce que peuvent l’intelligence et le courage sous l’empire de la discipline. C’était un triste spectacle que celui de cette escadre si belle, si bien ordonnée, et que quelques heures avaient ainsi éparpillée et réduite pour long-temps à l’impuissance ; mais dans cette lutte affreuse qu’elle avait soutenue, dans cette dispersion même, elle n’avait pas été vaincue ; elle pouvait en quoique sorte réclamer l’honneur de la victoire. Il se trouva bien quelques rigoureux calculateurs pour reprocher au ministre d’avoir ordonné cette sortie inutile et coûteuse de la flotte en hiver ; les marins l’en remercièrent et rendirent un hommage unanime à la vigueur et à l’énergie déployées par les équipages. Ces équipages furent contens d’eux-mêmes et sentirent leur valeur encore augmentée après une telle épreuve. L’escadre vint se réparer à Toulon, puis elle alla à Alger, et, chemin faisant, elle exécuta devant l’île de Minorque les plus belles et les plus savantes évolutions de la tactique navale.

En 1842, après un court séjour aux îles d’Hyères, elle se rendit sur les côtes d’Italie ; elle montra successivement son pavillon devant Bastia, l’île d’Elbe, les plages romaines, puis elle s’arrêta assez long-temps dans le golfe de Naples.

Ce beau golfe a toujours été un séjour de prédilection pour nos flottes, un lieu de repos et de récréation où nos amiraux aimaient à conduire leurs équipages après une longue et austère croisière. Outre la sûreté des ancrages, la beauté du site et le charme enivrant de cette nature sans rivale peut-être dans le monde, nous trouvions pour nos matelots toute espèce de vivres frais, des légumes, des fruits excellens, et à si bon marché que c’était un calcul d’économie aussi bien que d’hygiène de remplacer leurs rations salées par des approvisionnemens pris sur le marché napolitain. Naples avait un autre attrait, et beaucoup plus grand, pour nos équipages : c’est que nous pouvions sans inconvénient les laisser aller à terre. Il ne se trouvait pas là, comme dans d’autres ports plus fréquentés, de ces embaucheurs américains, toujours à l’affût de nos meilleurs matelots, pour les solliciter à la désertion par l’appât du gain et d’une trompeuse indépendance. Nous ne craignions pas non plus pour eux, comme dans nos propres ports, le contact si dangereux d’une population d’ouvriers infectés du poison