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HORACE WALPOLE.


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Les lettres de Mme Du Deffand à Horace Walpole parurent à Londres en 1810. Quand, un ou deux ans après, elles furent imprimées en France, elles produisirent dans le monde, je m’en souviens encore, une grande sensation. Comme, dans un pays bien gouverné, la littérature doit inspirer plus d’intérêt que la politique, elles occupèrent les salons de Paris plus que l’attente de la campagne de Russie, et l’on n’en parla guère moins que de l’incendie de Moscou et des désastres de la Bérézina. Grâce à cette précieuse liberté d’esprit, les lecteurs de 1812 accueillirent, avec la curiosité la plus vive et la moins distraite, ce nouveau témoignage des idées et des mœurs du siècle qui venait de finir, et l’on se plut à retourner par l’imagination jusqu’au milieu d’une société dont tous les contemporains n’avaient point disparu. Une maîtresse du régent, une correspondante de Voltaire, une amie du duc de Choiseul, racontant avec un esprit rare ses pensées et son temps, mêlant aux anecdotes et aux portraits de piquantes réflexions, était bien faite pour captiver l’attention d’un monde qui aimait encore la conversation et qui ne parlait pas du présent. Mme Du Deffand détestait les philosophes et ne savait guère que ce qu’ils lui avaient appris. Désabusée de tout, dégoûtée de ses souvenirs, sans foi comme sans espérance, elle s’ennuyait et s’irritait de l’empire même des opinions qu’elle partageait et dont elle entrevoyait avec effroi la future application ; elle jugeait avec une sagacité malveillante tout ce qui l’entourait et dénonçait d’un ton chagrin son siècle à la postérité ; elle présentait sous