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des brutales réclamations faites par l’escadre anglaise au nom du Juif Pacifico ; mais, dans ces deux affaires, son action, enchaînée par une politique indécise, fut plutôt négative. Il n’en pouvait être autrement. Quel langage notre marine eût-elle pu tenir, lorsqu’au lieu d’avoir derrière elle la France calme, sage et puissante, elle avait à parler au nom d’un peuple divisé, affaibli par les luttes de parti, forcé d’oublier sa grandeur dans le soin de sa sûreté, et, si le gant lui eût été jeté, se sentant incapable de le relever ? La situation de l’escadre n’était donc pas tenable dans le Levant : on le comprit et on l’appela à Cherbourg, pour y recevoir la visite du président de la république.

Ce ne fut pas de Paris seulement, ce fut de toutes les parties de la France qu’on accourut alors à Cherbourg. On aime la marine en France, mais on la connaît peu. À l’exception des habitans de nos grands ports, et peut-être aussi de quelques rares touristes, personne ne sait ou plutôt ne savait, avant cet automne de l’année 1850, ce qu’est une escadre. Je n’en répète pas moins qu’on aime la marine en France : on l’aime par un vague instinct qui dit aux plus ignorans qu’elle est nécessaire à notre grandeur et même à notre existence nationale ; on l’aime par suite des efforts qu’il en coûte à un peuple qui n’est pas naturellement marin pour le devenir à force d’intelligence et de courage ; on l’aime parce que de temps en temps elle rapporte un peu de gloire sans entraîner le pays dans les grands hasards d’une guerre continentale ; on l’aime enfin peut-être comme l’on aime l’inconnu, par attrait poétique, par besoin de l’imagination. Ce qui est certain, c’est qu’il y eut quelque chose de plus que le goût de la nouveauté dans le mouvement qui porta alors de tous côtés vers Cherbourg des flots de population. On ne s’attend pas que je redise ici l’étonnement que causa l’escadre à tous ces yeux ouverts pour la première fois à un tel spectacle. Que de témoignages d’admiration nos officiers ne recueillirent-ils pas pour ces beaux vaisseaux dont la tâche journalière était de promener sur les mers lointaines le drapeau de la patrie, et de laisser derrière eux une salutaire impression de la grandeur de la France ! Que d’expressions de sympathie n’entendirent-ils pas pour les habitans de ces vastes machines flottantes, pour cette population si modeste et si dévouée, dont l’unique ambition est d’avoir à verser son sang pour le pays, et qui, dans l’attente de ce jour, oublie toutes les douceurs de la vie, toutes les joies de la famille, et s’en va affronter sans souci les plus périlleux hasards !

Une fois la curiosité des yeux satisfaite, l’attention des observateurs intelligens se porta sur la physionomie si différente de nos officiers et de nos matelots. On fut frappé de la sérénité froide et un peu hautaine des premiers, de la joyeuse insouciance des autres. Chez nos officiers, cette fierté tient au respect d’eux-mêmes, à la conscience de leur