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mon cœur au milieu d’une corruption si universelle[1] ! » Voilà le sentiment chrétien. Demandez à Dieu la force, méritez-la par la foi. et ne craignez pas de vivre dans le monde. Dieu nous a donné ses commandemens pour nous préserver du mal, non pas du malheur qui est l’exercice de la vertu, mais du mal qui est la tentation de tous les hommes, et qui n’est la nécessité d’aucun. Nihil est tam discordiosum vitio, tam sociale nature quam genus humanum, dit saint Augustin en parlant de l’humanité<ref> Cité de Dieu, livre XII. <ref> ; admirable maxime qui pose à la fois et qui résout la question autour de laquelle Rousseau amoncelé tant de contradictions. L’homme est fait pour la société, mais ce sont les vices de l’homme qui rendent la société mauvaise : de là la conclusion que ce sont nos vices qu’il faut détruire et non pas la société ; conclusion simple et facile, à ne consulter que la raison, mais qui n’est praticable qu’avec l’aide et l’assistance de Dieu. Cette assistance, Dieu l’a donnée à l’homme par ses commandemens dans l’ancienne loi et par l’Évangile dans la loi nouvelle.

Tout s’accorde donc dans la doctrine chrétienne et tout est clair. Le mal vient de la nature humaine abandonnée de Dieu, et le bien vient aussi de la nature humaine secourue de Dieu. Otez Dieu à l’homme, la société n’est plus supportable, et de même que Dieu rend la terre féconde par les lois qu’il a données aux saisons, Dieu rend aussi la société humaine possible et douce par la règle qu’il a donnée à l’homme. Seulement la société humaine peut désobéir à cette règle. Il est vrai que du même coup elle devient intolérable et impossible. Essayez d’ôter à l’ame humaine un seul des bons sentimens qu’elle tient de la grâce de Dieu, ou bien essayez d’ôter à la végétation une seule des gouttes de pluie ou un seul des rayons de soleil que Dieu lui a destinés, vous verrez l’ame humaine se dessécher et la végétation se flétrir et périr. Je lisais dernièrement un admirable conte de Dickens intitulé le Pacte du Fantôme, un peu confus peut-être au premier coup d’œil, mais dont l’intention, à mesure qu’elle s’éclaircit et se découvre peu à peu, touche l’ame profondément. C’est un chimiste à qui le diable accorde de n’avoir plus le souvenir ni du mal qu’il a souffert des autres hommes ou de celui qu’il leur a fait, ni du bien qu’il en a reçu ou de celui qu’il leur a fait. Une ame qui n’a plus la mémoire ni de la joie ni du chagrin va-t-elle pour si peu cesser d’être une ame humaine ? car enfin qu’est-ce que la mémoire parmi nos sentimens ? C’est ici une de ces gouttes de pluie ou un de ces rayons de soleil dont la végétation ne peut pas se (tasser. Le don de l’oubli démoralise l’ame, et l’homme qui ne se souvient plus des diverses

  1. Massillon, t. Ier, p. 403.