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Au point où la Saône et le Rhône se préparent à se joindre, un coteau raide et élevé sépare les deux fleuves et baigne ses pieds, à droite et à gauche, dans leurs eaux encore distinctes. Avant d’arriver au confluent des deux rivières, il s’arrête brusquement et laisse au-devant de lui une plaine très basse, de deux ou trois kilomètres de long, formant une grande presqu’île sur laquelle se trouve, à la base même de la montagne, le point central de Lyon. La ville grimpe et se suspend sur les flancs du coteau, entassant les unes au-dessus des autres des maisons de six étages, jusqu’à ce que, en arrivant au sommet, elle rencontre le populeux quartier de la Croix-Rousse, qui la domine entièrement. Elle ne reste pas d’ailleurs concentrée entre le Rhône et la Saône; elle se répand, le long des hauteurs de Fourvières, sur la rive droite de la Saône, où l’antique cité a eu son berceau, et sur la rive gauche du Rhône, où la Guillotière s’étale en liberté dans une vaste plaine, depuis les Brotteaux jusqu’à la Vitriolerie. Au sein de ces grandes divisions, il s’en rencontre d’autres qui semblent faire de chaque quartier autant de villes différentes; on dirait que chaque classe sociale est là parquée séparément comme les Juifs au moyen-âge. Les fabricans sont groupés vers le bas de la côte que surmonte la Croix-Rousse. Le commerce proprement dit, les commissionnaires, ont leurs comptoirs au centre de la ville et sur les quais de la rive droite du Rhône. La fortune héréditaire s’est assise loin du fracas du négoce, dans la partie la plus méridionale de Lyon, en descendant vers les terrains vagues de Perrache. A la Guillotière, qui n’est séparée que par le Rhône du quartier le plus aristocratique, se présente une face bien différente de la vie sociale. Là campe la partie la plus nomade de la population; là se sont donné rendez-vous les gens tarés et sans aveu, en un mot les élémens viciés qu’une grande agglomération d’hommes renferme presque toujours dans son sein. Les maisons soumises à la surveillance spéciale de la police s’y pressent dans les rues basses qui longent le fleuve. Ne cherchez pas dans ce mélange confus et flottant l’ouvrier de Lyon, l’ouvrier de la fabrique, comme on dit dans le langage ordinaire, embrassant sous ce nom toutes les industries relatives au travail de la soie. Les nombreux travailleurs de cette catégorie ont leur quartier-général à la Croix-Rousse, immense assemblage d’ateliers d’où s’échappe un même bruit, où règne une même préoccupation, et où le tissage moderne réalise ses éblouissantes merveilles. Les métiers débordent aussi sur la ville de Lyon et remplissent les maisons échelonnées sur le versant de la Grand’-Côte. Un essaim de cette peuplade s’est transporté au-delà du Rhône, où il occupe la partie des Brotteaux la moins éloignée de la Croix-Rousse. La souche même de la fabrique est encore enfouie sur la rive droite de la Saône, autour de la sombre cathédrale de Saint-Jean, dan? les vieux quartiers de Saint-George et de Saint-Just.