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continuant néanmoins à vivre très rapprochés les uns des autres, l’esprit ancien se perpétuait en eux avec la mémoire du passé. Les ferrandiniers, plus mobiles, se dispersèrent plus aisément. Le nom, qui subsiste toujours, ne s’applique plus qu’à une institution de compagnonnage, embrassant les tisseurs de soie de toute la France. Affranchis du lien de leurs sociétés détruites ou transformées, les ouvriers lyonnais gardaient isolément des dispositions haineuses envers le gouvernement d’alors, qui avait fait son devoir en rétablissant la paix publique ouvertement attaquée. Durant les quatorze années qui séparent 1834 de 1848, il n’aurait fallu qu’une étincelle pour rallumer l’incendie.

On comprend quel effet dut produire sur une population ainsi disposée la nouvelle inopinément répandue des événemens du 24 février. Les ouvriers de la Croix-Rousse s’abattirent sur Lyon comme un torrent au milieu de la stupéfaction générale. Il n’y eut pas de lutte, parce qu’il n’y eut pas d’opposans; mais la ville fut laissée à la discrétion de la multitude bien plus complètement qu’en 1831, et le drapeau de 1834, le drapeau rouge, reparut pendant quelques jours sur le palais municipal. Dans les insurrections lyonnaises, le pillage a toujours été un fait inconnu qui répugne aux instincts populaires. On eut cependant à regretter cette fois des actes de dévastation sauvage, inspirés par un brutal esprit de rivalité industrielle, contre des maisons religieuses où on s’occupait du tissage de la soie. On menaça en outre de détruire les machines employées dans divers établissemens industriels, sous cet absurde prétexte qu’elles enlevaient de l’occupation aux ouvriers, comme si l’industrie était libre de demeurer stationnaire dans un pays, et comme si l’immobilité en face des progrès accomplis au dehors n’aurait pas eu pour résultat infaillible d’amoindrir bien plus largement la part faite au travail. Il faut que le besoin de l’ordre dans les grandes agrégations d’hommes soit un sentiment bien puissant pour que, malgré d’aussi funestes démonstrations et au milieu de circonstances aussi soudaines et aussi irritantes, il n’y ait pas eu de plus grandes catastrophes à déplorer. D’un côté, on cédait à un entraînement frénétique vers le bruit et l’agitation soit sur les places publiques, soit dans les clubs, qui s’étaient ouverts à tous les coins de rues; de l’autre, on aspirait à constituer quelque chose où l’on pût se rattacher, à ériger un rempart contre le choc des passions. Malheureusement les ouvriers se trouvaient appelés à un rôle au-dessus de leurs forces et périlleux pour leurs propres intérêts. L’absence d’idées sur la constitution de la société industrielle éclata aussi tristement qu’en 1831. Abusée par des prédications qu’elle ne comprenait pas, la multitude ne sut que répéter des paroles sonores et creuses. En fait d’institutions temporaires, le mouvement donna naissance à une force très anarchique en elle-même et qui naquit cependant du besoin de