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dans leur manière de vivre des affinités frappantes avec les mœurs des négocians anglais. De même que dans la ville de Lyon, imbue d’habitudes communales, le palais de la place des Terreaux présente, quoique avec un style différent, quelque chose de l’aspect des édifices municipaux de Guildhall et de Mansion-House, de même l’installation et les habitudes intérieures des fabricans lyonnais rappellent un peu la Cité de Londres. Entre les ouvriers et les fabricans, le contraste moral est donc réel.

Les insurrections ont dû également laisser des traces dans les dispositions des ouvriers envers le pouvoir social. On ne saurait s’attendre à trouver l’ordre rétabli au fond des cœurs. Cette mer naguère si bouleversée ne pouvait apaiser aussi vite ses vagues et sa furie. Le sentiment actuel de la population envers l’autorité, c’est une méfiance aveugle. On ne s’est pas dégagé de cette idée, perfidement exploitée par les partis politiques contre le régime antérieur à 1848, que le gouvernement serait toujours disposé à soutenir les fabricans, même s’ils avaient tort, dans leurs contestations avec les ouvriers. On n’est point encore en état de considérer les actes du pouvoir sans parti pris, de comprendre que si telles ou telles mesures réclamées par les classes laborieuses sont repoussées, ce n’est pas parce qu’elles seraient favorables aux ouvriers et défavorables aux fabricans, mais parce qu’elles entraîneraient des conséquences funestes pour tous les agens de la production et pour la société tout entière. On avait enseigné aux masses à ne rien espérer du gouvernement existant, quel qu’il fût, et à se tourner sans cesse vers un système imaginaire; on les tenait ainsi toujours prêtes au désordre et à l’émeute. Tout ce qu’on peut dire aujourd’hui, c’est que cette disposition d’esprit est moins vive. Tel qui déposerait un vote hostile à tout gouvernement ne prêterait pas le secours de son bras à de nouvelles insurrections. Si on enlevait les digues, le torrent s’échapperait peut-être, mais il est moins impatient de la barrière qui le contient. A défaut de sentimens plus vrais, on a plus de prudence et de mesure. On a profité, au moins en ce sens, des grandes leçons du passé.


IV, — ÉTAT DE LA FABRIQUE ET DES INSTITUTIONS LYONNAISES.

Les préoccupations que l’avenir peut inspirer tiennent principalement à certaines circonstances inhérentes au régime même de la fabrique lyonnaise. Les salaires des ouvriers, comme les bénéfices des fabricans, restent toujours subordonnés au prix de vente des produits. Or ce prix-là résulte de causes diverses contre lesquelles le plus souvent aucune volonté ne peut réagir. La concurrence des producteurs entre eux par exemple, source énergique d’incessans efforts et de progrès continus, fût-elle susceptible de recevoir en France quelques