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de voix se mirent bientôt à hurler : Sigua la fiesta! signa la fiesta! en accompagnant ce chœur formidable d’un tonnerre de trépignemens. Il eût peut-être été imprudent de résister à la volonté de cette foule exaltée jusqu’à la fureur : le président, qui allait se retirer, céda donc au vœu général; il sortit, mais en donnant l’ordre de continuer la fête. On oublia vite le déplorable intermède, et la course reprit tout son entrain. Deux hommes furent grièvement blessés, plusieurs chevaux furent encore mis hors de combat; treize taureaux agonisèrent sous nos yeux. Quand nous quittâmes le cirque, le jour touchait à son déclin; il manquait encore pourtant trois victimes à l’hécatombe de seize taureaux promise par le programme. Je m’en revins par les rues, brisé de fatigue et en proie à mille émotions; tout semblait rouge à mon regard ébloui, mes oreilles étaient pleines de rumeurs. Je croyais voir des lueurs sanglantes errer sur les façades dorées par le soleil couchant; il me semblait que le Rimac n’avait jamais secoué avec plus de rage les cailloux de son lit; mais, rentré dans ma chambre, sous le coup d’une névralgie violente, je sentis que les éblouissemens et le vacarme de la journée étaient en moi. Toute la nuit j’entendis gronder sans relâche les formidables bruits du cirque, avec des fracas de foudre et de torrent.

Les combats de coqs partagent, avec les combats de taureaux, le privilège d’attirer la population liménienne. Toutefois la casa de gallos (théâtre de coqs) nous a paru plus particulièrement fréquentée par les dernières classes de la société. Ses aficionados sont des cholos, des sambas et des nègres, qui viennent y chercher surtout les émotions du jeu, car on est vite blasé sur celles du combat. Un public où l’on compte trois ponchos pour un habit et dix faces de couleur pour un visage blanc remplit le plus souvent l’enceinte, charmant petit cirque avec gradins et galeries. Quelques tapadas de sang-mêlé se montrent çà et là sur les banquettes supérieures. — Un arbitre impartial comme Minos règle les paris et juge les cas difficiles. Tout individu a le droit de produire le coq sur lequel il fonde des espérances. Les asentistas lui opposent un adversaire élevé dans l’établissement. Les parieurs sont en présence. Dès qu’on a mis une couple des futurs athlètes sous les yeux de l’assemblée, chacun s’évertue à désigner le champion à qui il confie sa fortune. Durant ces étourdissans préliminaires, il n’est pas rare de voir des nègres sordides tirer de la poche d’un pantalon en guenilles une brillante poignée d’onces qu’il est fort permis de regarder comme le produit de quelque croisière sur la route de Callao. Enfin les paris sont fermés : deux hommes tiennent les coqs armés en guerre, c’est-à-dire la lancette chevillée à l’ergot; on les fait se becqueter réciproquement, ce qui ne tarde pas à les mettre en fureur. A peine ont-ils pris pied sur l’arène, qu’ils s’abordent avec rage, griffant