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s’accomplit cette révolution, qui ouvrit au Pérou une nouvelle ère, en y assurant, après quelques mois de luttes civiles, l’avènement du général Castilla. Personne ne paraissait s’en occuper. La ville continua de jouir d’une tranquillité parfaite; les tapadas effleuraient comme à l’ordinaire le pavé des Portales; les gallinasos, perchés sur les terrasses, regardaient impassiblement défiler les guerriers: le peuple continuait avec indifférence son rude labeur. Quant aux esprits légers, ils répétaient à l’envi : — Caramba ! je voudrais bien voir la curieuse figure que fera Vivanco dès qu’il saura la nouvelle!

L’exécution du colporteur et l’ovation de Domingo Elias m’avaient montré les réactions politiques du Pérou sous leur double aspect, tragique et bouffon. C’est un étrange spectacle assurément que celui qu’offre Lima dans ces jours de fièvre révolutionnaire. Il y a cependant pour la république péruvienne, en dehors de la vie purement politique, des sources de prospérité et de grandeur morale qu’on a trop négligées depuis l’émancipation. La civilisation de ce pays a ses côtés jeunes et vigoureux, comme elle a ses côtés vieillis et débiles. C’est sur les premiers qu’il nous restait à fixer nos regards avant de quitter Lima. Développer à la fois la vie intellectuelle et l’exploitation des richesses naturelles du pays, telle est la tâche pacifique et féconde qui, depuis Vivanco, a constamment préoccupé et préoccupe encore aujourd’hui les chefs de la république péruvienne. Il reste malheureusement beaucoup à faire pour diriger l’activité nationale dans cette double voie.

Sous un climat dont la température extrême ne varie, à moins de circonstances exceptionnelles, qu’entre 12 et 25 degrés centigrades, le Pérou pourrait produire en même temps les denrées d’Europe et celles des tropiques. La vigne y vient à côté du café, du coton, de la canne à sucre, et, lorsque le sol est fécondé par des irrigations bien conduites, il devient d’une telle fertilité que l’on peut obtenir jusqu’à quatre récoltes par an. L’art des irrigations était poussé à sa dernière limite sous la domination des Incas, et les Espagnols ne négligèrent pas cette source de richesse, ainsi que l’attestent les nombreux canaux qui promènent leurs méandres dans la plaine du Rimac; mais, rompus aujourd’hui, ces conduits laissent échapper leurs eaux, qui, au lieu de faire pousser le maïs ou la canne à sucre, forment des marais couverts de joncs ou de roseaux, à l’abri desquels s’embusquent les salteadores. — Un sentiment pénible s’empare du voyageur quand il parcourt cette plaine où tout atteste qu’une riche culture s’étalait jadis. Les ruines des chacras ou fermes lui disent que bien des révolutions ont passé par là, depuis que Bolivar appela aux armes des cultivateurs laborieux qui ne devaient pas être remplacés. Quelques nègres boiteux ou borgnes, jugés indignes d’être les soldats de la liberté, y sont seuls restés fidèles au boyau, et vivent sous les débris des toits effondrés. —