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« J’arrive… Si je vis, nous nous reverrons… ; si je meurs…, présentez cette lettre au capitaine de la Thétis…, et réclamez pour Josèphe… ma grande cassette d’acajou.

« GABRIEL. »

L’écriture, presque illisible, accusait une main que la fièvre avait fait trembler. Mathieu, douloureusement surpris, oublia cette fois toutes les précautions et courut au lazaret ; mais le chirurgien ne lui laissa point voir le lieutenant, dont l’état semblait lui inspirer de sérieuses inquiétudes. Le soir, le mal avait encore empiré et permettait peu d’espoir ; le lendemain, il n’en permettait plus.

Josèphe, à qui on avait laissé ignorer le nom de la frégate que ravageait l’épidémie, ne soupçonnait point le danger de son ami ; mais sa sœur et elle n’en avaient pas moins perdu toute leur gaieté. Prisonnières dans l’enceinte dessinée par leur père, toutes deux étaient tristement assises près du piquet de la chèvre, qui, couchée à leurs pieds, semblait dédaigner le foin éparpillé devant elle. Josèphe tenait Francine appuyée à ses genoux et lui avait successivement proposé tous les jeux dont elles avaient l’habitude ; l’enfant secouait la tête, les regards fixés sur la mer.

— Que veux-tu donc faire, Zine ? demanda-t-elle, attristée de sa tristesse.

Celle-ci ne répondit pas. La sœur aînée posa une main sur sa tête blonde et joua un instant avec les boucles de ses cheveux.

— Tu voudrais aller là-bas, voir Michel, pas vrai ? reprit-elle en se baissant vers la petite ; mais c’est trop tard ; le merisier est défleuri.

— Alors les cerises sont déjà mûres, tu crois ? interrompit Francine, qui retourna vers Josèphe son visage que l’ennui avait rendu moins rose et ses grands yeux pleins de curiosité.

— Je ne sais pas, reprit la grande sœur, mère nous le dira ; mais il faut penser maintenant à autre chose ; tu sais bien que nous ne pouvons aller à la poudrière.

— Ni au bout de l’île, ni nulle part, ajouta Francine en se laissant retomber sur les genoux de Josèphe.

Celle-ci, qui voulait l’amuser à tout prix, lui montra alors la chèvre, qui venait de se redresser. Sortie brusquement de son demi-sommeil, Brunette décrivait autour de son piquet des évolutions si bizarres, que la tristesse de l’enfant ne put y résister et qu’elle ne tarda pas à éclater de rire. Josèphe, qui s’était d’abord associée à sa gaieté, craignit que les mouvemens de la bête mutine ne finissent par briser la corde et voulut avancer la main pour l’en empêcher.

— Laisse, laisse ! s’écria Francine en riant ; vois comme elle se dresse, comme elle danse ! Courage, Brunette, plus fort, petite, plus fort !

L’enfant, à genoux sur le sable, battait des mains avec des exclamations de joie, et la chèvre, qui semblait excitée par la voix et par le