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Pendant ce temps, la nuit était venue. Déposée au fond de l’alcôve sombre, la morte se dessinait vaguement sous son enveloppe de lin, comme un marbre ébauché ; plus haut, pendait un Christ d’ivoire, la tête penchée et les bras étendus. Geneviève s’agenouilla près du lit et demeura long-temps la tête appuyée sur ses mains jointes. Elle murmurait à demi-voix une prière ; mais, bien que sa bouche répétât fidèlement toutes les paroles, le sens n’arrivait point Jusqu’à son esprit. Quand elle eut achevé, elle se releva machinalement, regarda autour d’elle : son cerveau était un chaos ténébreux. Elle porta les deux mains à son front, qu’elle serra avec un cri étouffé, comme si elle eût voulu arrêter ce tourbillon de pensées déchirantes et confuses. Il y eut une lutte de quelques instans entre son désespoir et sa volonté ; enfin celle-ci prit le dessus, et elle s’avança vers la porte, qu’elle ouvrit.

Son mari s’était réfugié sur la plate-forme avec Francine, pour lui dérober le pénible spectacle de l’ensevelissement. Elle l’aperçut debout, près du parapet ; la petite-fille était à ses pieds, la tête appuyée contre ses genoux. Depuis la mort de sa sœur, elle n’avait point prononcé une parole. Immobile, l’œil dilaté et les lèvres serrées, elle semblait chercher à comprendre. Ses deux petites mains pendaient inactives, et ses pieds nus semblaient fixés sur le sol. En la voyant ainsi, éclairée par les premières clartés de la lune, qui jouait dans ses cheveux blonds, Geneviève parut se retrouver elle-même ; un éclair traversa l’atonie de ses traits, ses narines se gonflèrent, et un flot de larmes jaillit de ses yeux. Elle s’était élancée vers l’enfant qu’elle enleva dans ses bras avec une sorte d’emportement douloureux, auquel Francine s’associa sur-le-champ par une explosion de caresses et de sanglots. Pendant long-temps, ce ne fut qu’un échange d’appels interrompus et de phrases inachevées. La petite fille demandait sa sœur, et sa mère, dont le désespoir était ravivé par ces demandes, s’efforçait de les étouffer sous ses baisers. Enfin, à bout de forces, elle laissa ses bras qui retenaient Francine se détendre, et sentit qu’on la lui retirait doucement. C’était Mathieu, qui déposa l’enfant à terre. Il entraîna la mère un peu plus loin, et l’obligea à s’asseoir sur le banc de pierre adossé au parapet. Elle voulut se relever en tendant les mains.

— L’enfant ! bégaya-t-elle à travers ses sanglots ; je veux l’enfant.

— Tout à l’heure, tu la verras, dit Ropars, qui, selon l’usage des campagnes bretonnes, ne tutoyait Geneviève que dans à s fortes émotions ; mais auparavant il faut que tu écoutes avec tout ton esprit, car ce que j’ai à te dire est de grande conséquence.

— Ah ! je le voudrais ! je le voudrais ! dit-elle en prenant sa tête à deux mains ; mais ne vous offensez pas, Mathieu, si c’est impossible ; j’entends là, voyez-vous, quelque chose qui fait taire tout le reste ; c’est son râle, mon cher homme !… Et… savez-vous ?… j’aime le mal que cela me fait de l’entendre ; je peux croire qu’elle respire encore.