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langueur n’étaient que les derniers mouvemens d’une machine près de s’arrêter. Cependant, vers le soir, la fièvre se déclara ; la malade passa insensiblement de son immobilité à une agitation délirante ; elle ne reconnaissait Mathieu que par intervalle, et, retrouvant sa douleur avec sa raison, elle retombait bientôt dans son égarement.

Aucun de ces symptômes ne semblait appartenir à la maladie qui désolait le lazaret, et le chirurgien, déconcerté, laissa deviner son impuissance à la reconnaître. Habitué à la rude médecine qu’exigeaient les robustes malades de nos vaisseaux, il était demeuré forcément étranger, comme tous ses pareils, aux souffrances des nature plus délicates. Aussi demeura-t-il étourdi devant cette femme mourant d’un mal dont il cherchait en vain quelque exemple dans ses souvenirs. Il ne put taire son embarras et le besoin de conseils plus éclairés. Une science à laquelle ces mystérieux et redoutables symptômes étaient familiers pouvait trouver un indice là où il n’apercevait que confusion et signaler un remède qu’il n’osait deviner au hasard.

Cet aveu arraché à sa loyauté fut pour Mathieu une nouvelle torture. Enfermé dans un cordon sanitaire qui défendait aux étrangers rapproche de Trébéron, il ne pouvait invoquer une expérience à laquelle Geneviève eût peut-être dû son salut ; il voyait en vain à ses pieds des barques pour franchir la mer, à l’horizon la ville d’où pouvait lui venir le secours ; un obstacle invisible, mais insurmontable, l’enfermait dans son malheur.

Deux journées s’écoulèrent pour lui, comme une longue agonie, dans des alternatives d’abattement muet ou de désespoir furieux. Après des heures entières passées près du lit de la mourante, quand il voyait le mal un instant assoupi se réveiller en grandissant, il courait jusqu’au bord des récifs, regardait les flots au milieu desquels il se trouvait captif, la barque armée qui gardait le passage, les ravines de l’île tachetées de fosses récemment creusées, et, pressant contre son front ses poings fermés, il maudissait le jour où il avait accepté cet emprisonnement volontaire ; il demandait compte à Dieu avec colère des coups dont il le frappait ; puis, revenu à ses pieuses confiances, il joignait les mains et le suppliait avec larmes d’épargner Geneviève.

Vers le matin du troisième jour, il put croire que sa prière avait été entendue. La fièvre tomba, et la malade retrouva toute sa lucidité d’esprit ; mais ce changement ne lui fit partager ni la joie ni les espérances de Mathieu.

— Ne croyez pas que ce soit la guérison, cher homme, dit-elle d’une voix qu’on entendait à peine et en entrecoupant chaque phrase de silence ; le mal s’en va,… mais il emporte tout avec lui… — Le soir où vous avez traversé le passage,… quand j’ai entendu sortir de la mer le