Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/622

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restauration dans cette période, — entre 1816 et 1820, — dont M. de Lamartine expose le tableau, il est facile d’en dégager une moralité politique profonde. S’il est quelque chose d’évident aujourd’hui, c’est que le plus véritablement homme d’état de cette époque, c’était Louis XVIII ; si quelqu’un pouvait réaliser l’alliance de la monarchie et des idées constitutionnelles, c’était cet esprit sage et pratique. Dès ce moment, au contraire, dans la lutte implacable que se livrent les partis, dans les moyens extrêmes dont ils se servent, on peut distinguer comme les signes avant-coureurs de tout ce qui surviendra par la suite. Les royalistes, en croyant ne travailler qu’à la suppression d’une constitution, aboutissent au renversement de la monarchie; les libéraux, qui croient ne forger des armes que contre la monarchie légitime en fomentant les instincts républicains et en s’aidant des immortels souvenirs de l’empire, en forgent contre le libéralisme lui-même, destiné à mourir de mort violente par ces mêmes armes. Cela tient à ce que malheureusement en France les opinions sont moins des réalités morales que des entraînemens d’esprit. Il leur manque cette conscience vigoureuse qui fait qu’elles restent elles-mêmes et n’agissent que par leurs propres moyens. Elles s’unissent ou se partagent, non selon leurs tendances et leurs affinités naturelles, mais dans l’intérêt du moment. Qu’en résulte-t-il? C’est que tout se mêle, tout se confond et tout se dissout. Les partis, par des déviations successives, perdent leur consistance propre et leur moralité, c’est-à-dire ce qui fait leur puissance. Ils finissent par ne plus se reconnaître. Survient alors ce qu’on nomme les surprises, la force des choses, qui ne prouve que la faiblesse des hommes et des partis, — jusqu’à ce que, au bout de toutes les combinaisons, de toutes les coalitions de la fantaisie et de la passion, il ne reste plus de place dans la société que pour deux camps, — ceux qui veulent conserver et ceux qui veulent détruire. Voilà le résultat de la longue série des déviations et des erreurs des partis. On pourrait, à plus d’un égard, reporter l’origine de cette situation extrême à la période dont nous parlions. Par malheur, M. de Lamartine, en saisissant quelques-uns des traits essentiels d’une telle situation, ne laisse pas toujours à l’histoire toute sa moralité, toute sa gravité; il y mêle ses caprices de pinceau et ses couleurs romanesques. L’auteur des Girondins réussit mieux que tout autre à transporter les merveilles de l’art pour l’art dans les choses historiques.

Si les doctrines de l’art pour l’art ont trop souvent passé de nos jours dans la réalité politique et dans l’histoire, cela ne les empêche pas de continuer à régner dans une certaine sphère de la littérature et de l’imagination. N’eussent-elles point d’autre sectateur, il leur resterait encore, à coup sûr, M. Th. Gautier, l’auteur d’un nouveau petit recueil poétique sous le titre d’Émaux et Camées. M. Gautier est un grenadier chevronné au service de l’art pour l’art. Il faut lui rendre cette justice, il n’a point le fanatisme des solutions humanitaires; il n’essouffle guère son imagination à poursuivre les recettes sociales; tout son souci consiste à faire ruisseler à nos yeux la matière, la beauté extérieure. M. Gautier, dans ces Émaux et Camées, est toujours un habile sculpteur de phrases, un fin ciseleur de mots. Quel dommage que sous tout cela il n’y ait rien que le culte de la forme, une espèce d’ivresse païenne et panthéiste, une sorte d’anéantissement de la pensée dans la nature visible