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apaiser ces querelles épineuses. Son succès serait, à coup sûr, le plus grand service que la France put rendre au Piémont.

Les élections sont terminées en Angleterre. Quel en est le résultat précis? Nous avons laissé, il y a quinze jours, le ministère en minorité; l’élection des comtés, paraît-il, a transformé cette minorité en majorité; nous disons : parait-il, et nous n’osons nous prononcer, car chaque parti entonne le chant de victoire, et nous n’avons pas moins de trois listes contradictoires sous les yeux. Le Morning-Post, organe du ministère, attribue la majorité à lord Derby; le Globe, organe des whigs, l’attribue aux libéraux; le Morning-Chronicle, organe des peelites, aux libres-échangistes de toute nuance. La seule induction que nous puissions tirer de ces chiffres contradictoires, c’est que le nombre des membres conservateurs balance à peu près exactement le chiffre des membres de toutes les oppositions réunies. Voilà, selon nous, la vérité. C’est là sans doute un triomphe, car le ministère a l’avantage d’avoir avec lui une armée compacte, tandis que les forces de l’opposition sont naturellement divisées; toutefois nous croyons que l’on ne doit pas s’en exagérer la portée. A Dieu ne plaise que nous désirions voir, après toutes les expériences qui ont été faites chez nous, le triomphe d’une nouvelle coalition et la chute d’un ministère conservateur! Nous savons trop ce que coûtent ces triomphes, quelles haines ils engendrent et quels abimes ils creusent entre les hommes les mieux faits pour s’entendre et pour travailler de concert au bien des nations. Lorsque nous exprimions dernièrement des craintes sur la durée du ministère, nous n’étions animés d’aucun sentiment hostile envers le cabinet tory. Si ces craintes sont chimériques, tant mieux, puisque la cause de la conservation sociale et du progrès modéré, qui est aussi la nôtre, y gagnera et s’affermira sur un point, lorsqu’elle est tant menacée sur d’autres. Malgré tout, nous ne pouvons nous empêcher encore d’avoir des doutes. Il ne faudrait pas croire, comme nous voyons trop de gens le croire autour de nous, que l’impuissance des whigs fortifie ce ministère. Si lord John Russell est incapable de reprendre le pouvoir, ce n’est pas une raison pour que lord Derby le garde. Nous raisonnons trop encore d’après la tradition politique de l’Angleterre; le temps n’est plus où, lorsque les tories tombaient, on était certain de voir se former un cabinet whig et vice versa; le temps n’est plus où les tories étaient des tories et les whigs des whigs; ces mots ne sont plus que des étiquettes. Il y a aujourd’hui des tories qui parlent comme des chartistes, des whigs qui parlent comme des radicaux; les distinctions de partis ne sont plus tranchées comme autrefois, et la confusion devient plus grande d’heure en heure. Le ministère restera sans doute, mais à la condition de ne proposer aucune grande mesure favorable à son parti; c’est là notre ferme conviction. Nous doutons fort que M. Disraeli puisse aisément faire adopter ses fameux plans de réforme de l’impôt avec une majorité aussi faible que celle dont il disposera à la chambre des communes. D’ailleurs on verra bientôt quelle est la force relative des partis dans les luttes qui s’engageront, dès l’ouverture de la session, sur les faits de corruption électorale, qui ont été, cette année, plus nombreux que jamais, assure-t-où, et auxquels nous ne voulons pas croire tant que les accusateurs ne seront autres que les ennemis naturels du ministère.

Nous voudrions aussi ne pas croire à la renaissance des luttes religieuses et