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M. le Prince seconde Mazarin, comme il avait fait Richelieu, et partage avec lui le gouvernement. L’intrépide Brezé, ouvrant la liste des grands-amiraux du XVIIIe siècle, tient en échec ou disperse dans la Méditerranée les flottes de l’Espagne. M. de Longueville, chargé de la plus grande ambassade du temps, met dans la balance diplomatique le poids de son nom, de sa modération et de sa magnificence. Pour le jeune Condé, qui n’a lu, au moins dans Bossuet, ses campagnes en Flandre et sur le Rhin ? Nous avons fait voir quelle fut en 1643, pour la France, l’importance de la victoire de Rocroy ; celles qui suivirent n’étaient pas moins nécessaires, et c’est à ce point de vue qu’il nous est commandé d’y insister.

Depuis quelque temps, il est presque reçu de parler de Condé comme d’un jeune héros qui doit tous ses succès à l’ascendant d’un irrésistible courage. Prenons garde de faire un paladin du moyen-âge ou un brillant grenadier comme tel ou tel maréchal de l’empire d’un capitaine de la famille d’Alexandre, de César et de Napoléon. Sans doute Condé avait reçu comme eux le génie de la guerre, et, ainsi qu’Alexandre, il excellait surtout dans l’exécution et payait avec ardeur de sa personne ; mais il semble que l’éclat de sa bravoure ait mis un voile sur la grandeur et l’originalité de ses conceptions, comme son extrême jeunesse à Rocroy a fait oublier que depuis bien des années il étudiait la guerre avec passion et avait déjà fait trois campagnes sous les maîtres les plus renommés. Si c’était ici le lieu, et si j’osais braver le ridicule de m’ériger en militaire, j’aimerais à comparer les campagnes de Condé en Flandre et sur le Rhin avec celles du général Bonaparte en Italie. Elles ont d’admirables rapports : la jeunesse des deux généraux[1], celle de leurs principaux lieutenans, la grandeur politique des résultats, la nouveauté des manœuvres, le même coup d’œil stratégique, les mêmes calculs servis par la même audace, par la même activité, par la même opiniâtreté. C’est dégrader l’art de la guerre que de mesurer les succès militaires sur la quantité des combattais, car à ce compte Tamerlan et Gengis-Khan seraient les deux plus grands capitaines du monde. Le général de l’année d’Italie n’a guère eu, ainsi que Condé, plus de vingt à vingt-cinq mille hommes en ligne dans ses plus grandes batailles[2]. J’oserais dire, à l’honneur de Condé, qu’il

  1. Napoléon avait vingt-six ans à son premier combat, celui de Montenotte, et trente à son dernier, celui de Marengo. Condé n’avait pas tout-à-fait vingt-deux ans à Rocroy et il en avait vingt-sept à Lens.
  2. Le général Bonaparte entra en Italie en 1796 avec 30,000 hommes présens sous les armes ; il avait à peine de 15 à 20,000 hommes à Montenotte ; il en avait 20,000 à Castiglione, 13,000 seulement à Arcole, 16,000 tout au plus à Rivoli. Il est vrai qu’à Marengo il avait 28,000 hommes ; mais qui voudrait comparer, pour la conception et l’exécution, Marengo avec Arcole et Rivoli ? Ce sont là les deux affaires les plus savantes et les plus hardies des campagnes d’Italie, les plus semblables à celles de Rocroy et de Fribourg.>