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aller défendre un malheureux à qui le diable a finement suscité vostre persécution comme le seul moien pour luy faire perdre cette patience qu’il garde depuis tant de siècles, et qui ne se peut pas conserver quand on est méprisé de vous. »


MADAME DE LONGUEVILLE A MADAME DE BRÉGY.

« Vostre lettre a fait plus de bien au sonnet de Job que Benserade mesme, et elle me donne un si grand regret de n’avoir pas eu des sentimens conformes à ceux de la personne qui l’a escrite, que, si elle ne me fait changer, elle me fait au moins condamner les miens, et me fait donner par là une préférence à Job, que je luy aurais toujours refusée tant qu’il n’y eût eu que luy qui eût parlé pour lui-mesme. Voilà, je pense, tout ce qu’une personne généreuse peut faire pour un parti dont elle n’est pas, et je vous asseure que, si le vostre n’est celui de mon choix, il est devenu au moins celui de mon estime, par celle que vous avés tesinoigné que vous en faisiés en le choisissant. Je serai ravie que vous veniés jeudy disputer la cause de Job ; mais je vous advertis au moins que ce ne sera plus que contre mes sentiments passés, ne pouvant consentir d’estre contraire aux vostres, etc. »

Les deux belles dames combattaient, on le voit, avec les armes les plus courtoises ; mais elles combattirent vivement et assez long-temps. Je conjecture, littérature à part, qu’elles y avaient bien quelque secret intérêt. Mme de Brégy était belle et coquette autant que spirituelle. Elle pouvait fort bien croire que la pièce de Benserade s’adressait à elle, et était l’indirecte déclaration d’un amour un peu roturier condamné à renfermer en lui-même ses souffrances. Du moins Benserade avait-il composé pour elle une épître où il s’excuse de la fuir de peur de l’aimer[1]. Mme de Longueville ne pouvait avoir oublié tous les vers que Voiture avait faits à sa louange, quand elle était encore dans sa première jeunesse, et peut-être celui-ci, en revoyant en 1647 la noble beauté dans tout l’éclat de ses charmes et devenue l’idole à la mode, quittant l’ancienne familiarité pour un respect affectueux, avait-il voulu finir comme il avait commencé, et mourir, comme on disait alors, dans le service de celle qu’il appelle Uranie, c’est-à-dire une beauté céleste sur laquelle il ose à peine lever les yeux.

Il faut finir mes jours en l’amour d’Uranie :
L’absence ni le temps ne m’en sçauroient guérir,
Et je ne vois plus rien qui me pût secourir,
Ni qui sçût rappeler ma liberté bannie.

Dès long-temps je connois sa rigueur infinie ;
Mais, pensant aux beautés pour qui je dois périr,
Je bénis mon martire, et, content de mourir,
Je n’ose murmurer contre sa tyrannie.

  1. Œuvres de Benserade, 1697, t. Ier, p. 97, et Œuvres de madame de Brégy, p. 93.