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Quelquefois ma raison, par de faibles discours,
M’incite à la révolte, et me promet secours ;
Mais, lorsqu’à mon besoin je me veux servir d’elle,

Après beaucoup de peine et d’efforts impuissants,
Elle dit qu’Uranie est seule aimable et belle,
Et m’y rengage plus que ne font tous mes sens.

D’ailleurs Mme de Longueville croyait sa préférence appuyée sur de très bons motifs que nous partageons. L’ouvrage de Benserade a plus d’esprit, d’invention, d’originalité même, puisqu’il est assurément fort nouveau de mettre Job dans une déclaration d’amour ; celui de Voiture a des grâces secrètes et mélancoliques qui vont plus au cœur. Nous trouvons avec Corneille le sonnet de Job plus joli, toutefois sans être naïf, éloge étrange qu’on ne s’attendait guère à rencontrer ici ni d’un côté ni de l’autre ; mais le sonnet à Uranie nous semble plus d’un amoureux, et c’est là ce qui nous décide. Peut-être que, si Mme de Longueville en eût causé avec Corneille, elle l’eût converti au nom de leurs communs principes ; du moins elle entraîna son frère, le prince de Conti, qui, après avoir fait un sonnet pour Benserade, finit par conclure pour Voiture et pour sa sœur. Il paraît qu’Esprit fit plus de résistance. Elle lança contre lui Sarrasin, dont on a encore la glose en vers qui tourna en ridicule le sonnet de Benserade et l’opinion d’Esprit :

Monsieur Esprit, de l’Oratoire,
Vous agissez en homme saint
De couronner avecque gloire
Job de mille tourments atteint, etc.[1].

Mme de Longueville écrivit elle-même à Esprit une lettre où elle fait preuve en vérité d’un tact littéraire fin et relevé. Elle reconnaît que le sonnet de Job a un air galant et de la délicatesse, mais rien de plus. À l’exception de quelques vers, tous les autres lui paraissent pleins de défauts, et elle pousse le raffinement jusqu’à qualifier certaines expressions de Benserade de dégoûtantes, entendez par là vulgaires. Au contraire, elle admire dans le sonnet de Voiture, surtout dans les derniers vers, une expression belle et forte, avec des pensées qui, sans être nouvelles, ont le mérite de la passion. Elle fait mille concessions à Esprit ; elle demande grâce pour l’audace qu’elle a de différer de lui ; elle annonce en même temps qu’elle va continuer la guerre ; elle en appelle à tout Rambouillet, et badine agréablement sur cette Fronde d’un nouveau genre.

  1. Cette glose avait cela de particulier que le dernier vers de chacun de ses couplets ramenait successivement les vers du sonnet de Benserade. Elle n’est pas dans les œuvres de Sarrasin de 1654, ni même dans ses Œuvres nouvelles ; on la trouvera dans le t. Ier de Benserade, p. 175.