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ses goûts, il débuta par les apparences contraires et par ces manières chevaleresques qu’affectaient les importans. Une de ses premières liaisons fut avec Mme de Chevreuse, qui le donna à la reine Anne. Il s’engagea si bien dans les intérêts de la reine et dans ceux de Mlle d’Hautefort, qu’il conçut ou accepta l’idée de les enlever. « J’étois, dit-il[1], dans un âge où l’on aime à faire des choses extraordinaires et éclatantes, et je ne trouvai pas que rien le fût davantage que d’enlever en même temps la reine au roi son mari et au cardinal de Richelieu, qui en étoit jaloux, et d’ôter Mlle d’Hautefort au roi, qui en étoit amoureux. » Il n’exécuta pas ce beau projet ; mais Richelieu, qui eut quelque soupçon de toutes ces intrigues, le mit pour huit jours à la Bastille. Il paraît qu’il ne fut pas tout-à-fait étranger aux menées de Cinq-Mars ; aussi, à la mort de Richelieu, accourut-il à Paris, et, quand celle de Louis XIII eut remis l’autorité suprême aux mains de la reine Anne, il s’imagina que sa fortune était faite. Il demanda ou fit demander successivement de grandes charges, que la reine ne lui put accorder, quelque goût qu’elle eût pour lui. Mme de Chevreuse exigeait pour son ancien ami le gouvernement du Havre, qui était alors de la plus haute importance ; mais ce gouvernement était dans la famille de Richelieu, et Mazarin ne pouvait l’ôter à la duchesse d’Aiguillon. La Rochefoucauld aspirait au commandement de la cavalerie : il était fort brave, mais on ne jugea pas qu’il fût capable d’un tel emploi. Il essuya ainsi plusieurs échecs ; la reine s’appliqua à les lui adoucir par les manières les plus affectueuses qui le retinrent, comme on dirait aujourd’hui, dans une opposition modérée, et l’empêchèrent de se précipiter dans les violences de Beaufort. Il ne fut donc pas enveloppé dans la disgrâce des importans, tout en la partageant en une certaine mesure, et il ne cessa pas d’être ou de paraître très attaché, non pas au gouvernement, mais à la personne de la reine. Il en attendait toujours quelque éclatante faveur. Ces faveurs n’arrivant pas, il prit le parti de conquérir, en se faisant craindre, ce que sa fidélité n’avait pu obtenir.

C’est dans ces dispositions qu’il rencontra Mme de Longueville à son retour de Munster, environnée d’hommages de plus en plus pressans. Le comte de Miossens, depuis le maréchal d’Albret, beau, brave, plein d’esprit et de talent, alors très à la mode, aussi entreprenant en amour qu’à la guerre, lui faisait une cour très vive. La Rochefoucauld fit sentir à Miossens, qui était un de ses amis, qu’après tout, s’il surmontait les résistances de Mme de Longueville, ce ne serait là qu’une victoire flatteuse à sa vanité, tandis que lui, La Rochefoucauld, en saurait tirer un tout autre parti. Voilà certes une bien touchante et

  1. Collection Petitot, t. LI, p. 353.