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seuls, tout en négociant avec Mazarin, se battaient bien. On se faisait la guerre de deux façons, à coups d’épée et à coups d’épigrammes, de chansons, de vaudevilles. Les mazarins, on le conçoit, ne ménageaient guère Mme de Longueville. Condé lui-même, qui l’avait tant aimé, et qui, plus tard, retrouvera pour elle toute sa première tendresse, ne se gênait pas pour la tourner en ridicule avec la licence accoutumée de son langage. Il s’égayait fort aux dépens des ardeurs guerrières de son frère, le prince de Conti, et chansonnait ses adversaires, entre autres le comte de Maure[1], le cadet des Mortemart, avec autant de verve et d’une façon tout aussi soldatesque qu’il malmenait les troupes et les bourgeois, lorsqu’ils osaient s’aventurer à quelques pas des remparts de Paris.

Pour faire juger la Fronde, même dans cette première période de sa courte et trop longue histoire, il suffira de dire qu’elle eut dès-lors recours au seul ennemi qui restât à la France ; que ces grands patriotes, qui reprochaient sans cesse à Mazarin d’être étranger, s’adressèrent à l’Espagne, et qu’un envoyé de l’archiduc et du comte de Fuensaldaigne fut reçu et entendu en plein parlement. Étonnez-vous, après cela, qu’au bout de quelques années le jeune Louis XIV entre un jour dans ce même parlement en bottes et un fouet à la main, sans que personne y fasse attention ! Il faut bien le savoir : la démagogie amène nécessairement la tyrannie, et, ce qu’il y a de plus triste, elle l’amène avec l’applaudissement universel, froissant le cœur de ceux-là seuls qui ne l’avaient pas méritée, et n’avaient jamais voulu qu’une juste liberté. Lorsqu’on osa faire la honteuse proposition de recevoir l’envoyé espagnol, le président de Mesme, se tournant vers le prince de Conti, lui adressa ces sanglantes paroles : « Est-il possible, monsieur, qu’un prince du sang de France propose de recevoir sur les fleurs de lys un député du plus cruel ennemi des fleurs de lys[2] ? »

Condé pensa qu’il était temps d’en finir. Il resserra le blocus et multiplia les attaques. C’est dans une de ces attaques, à Charenton, le 9 février 1649, qu’il perdit son meilleur ami, le cadet de Coligny, le brave d’Andelot, devenu le duc de Châtillon, le mari d’Isabelle de Montmorency, un des héros de Lens, un peu léger dans sa vie et dans ses mœurs comme son général, mais qui promettait à la France un capitaine de la force de son beau-frère, le maréchal de Luxembourg. Condé, accouru bien vite sur le lieu du combat, à la place où venait de tomber Châtillon, le reçut dans ses bras, et le fit transporter, en le baignant de ses larmes, à Vincennes, où il rendit le dernier soupir. Tous les mémoires s’accordent à peindre la vive douleur où cette mort jeta Condé ;

  1. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes, livraison du 15 juin dernier, p. 1047, un couplet de Condé sur le comte de Maure.
  2. Retz, t. 1er, p. 247.