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fut présenté par Condé, qui lui fit embrasser le cardinal Mazarin. Le prince de Conti présenta à son tour le duc de Bouillon, La Rochefoucauld, le comte de Maure, et beaucoup d’autres. M. de Longueville, qui était allé en Normandie pour soulever cette province et son parlement, ne tarda pas à revenir offrir ses hommages, et il fallut bien que la belle et orgueilleuse duchesse fit aussi ses soumissions. La scène vaut la peine d’être racontée : « J’étois seule, dit Mme de Motteville, auprès de la reine, et elle me faisoit l’honneur de me parler de l’embarras qu’avoit eu le duc de Longueville en la saluant. Comme je sus que Mme de Longueville alloit venir, je me levai ; car j’étois à genoux devant son lit, et me mis auprès de la reine, résolue de n’en point partir, et d’écouter de près si cette princesse spirituelle seroit plus éloquente que le prince son mari. Comme elle étoit naturellement timide et sujette à rougir, toute sa capacité ne la sauva pas de l’embarras qu’elle eut en abordant la reine. Je me penchai assez bas entre ces deux illustres personnes pour savoir ce qu’elles diraient ; mais je n’entendis rien que madame, et quelques mots qu’elle prononça si bas que la reine, qui écoutoit avec application ce qu’elle lui diroit, ne put jamais y rien comprendre[1]. »

Cette même Mme de Motteville, si véridique malgré sa bienveillance, si difficile dès qu’il s’agit des intérêts de la reine, sa maîtresse, ne balance pas à faire honneur de la paix à Condé : « Il ne faut pas oublier de remarquer ici la fermeté désintéressée de M. le Prince, qui, sans considérer ni sa famille ni ses amis, alla toujours droitement aux intérêts du roi[2]. »

Il est vrai : du mémorable service qu’il venait de rendre, Condé ne tira aucun avantage ni pour lui ni pour les siens ; mais sa belle conduite couronnait avec éclat sa dernière campagne de 1648 ; elle ajoutait à ses titres militaires ceux de défenseur et de sauveur du trône, de pacificateur du royaume, d’arbitre et de conciliateur éclairé des partis ; elle mettait le comble à son crédit et à sa gloire. Heureux, si, après avoir ainsi terminé cette triste guerre, quittant la cour et ses intrigues, il eût été chercher d’autres champs de bataille et achever une autre guerre un peu plus utile et plus glorieuse à la France, celle qui lui restait avec l’Espagne ! Heureuse aussi Mme de Longueville, si, éclairée par la confusion de sa conscience dans sa dernière entrevue avec la reine et par le honteux dénoûment des misérables intrigues dont elle avait le secret, au lieu de leur servir encore d’instrument, elle eût mis enfin son courage à leur résister, si après toutes les preuves de dévouement qu’elle venait de donner à La Rochefoucauld, elle lui eût fortement

  1. Mémoires, t. III, p. 263.
  2. Ibid., p. 209.