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représenté que, dans son intérêt même, il lui fallait prendre une route différente, qu’il valait mieux chercher la fortune et les honneurs en se faisant estimer qu’en essayant de se faire craindre, que l’ambition comme le devoir lui marquait sa place à côté de Condé, au service de l’état et du roi, qu’il lui était aisé d’obtenir à l’année quelque poste où il n’avait plus qu’à marcher devant lui et à tout devoir à sa valeur et à son mérite ! Mais eût-elle eu la sagesse de parler ainsi à La Rochefoucauld, elle ne serait pas parvenue à s’en faire écouter. Cet esprit inquiet, cette vanité toujours mécontente, poursuivant tour à tour les objets les plus dissemblables, faute de s’en proposer un qui fût selon sa portée et ses forces, ce je ne sais quoi, comme dit Retz, qui était en La Rochefoucauld, tout l’éloignait des voies grandes et droites, et le jetait dans mille sentiers de traverse, pleins de précipices. La pauvre femme va l’y suivre, et lutter avec lui d’extravagances de plus en plus coupables. Recevant la loi au lieu de la donner, elle va employer au profit de la passion d’un autre tout ce qu’elle possédait de coquetterie et de grandeur d’ame, d’insinuation et d’intrépidité, de douceur attrayante et d’indomptable énergie. Elle va contribuer à égarer Condé, à ôter à la France le vainqueur de Rocroy et de Lens, et à le donner à l’Espagne. Mais ne devançons pas ces temps malheureux. Nous venons de retracer les derniers beaux jours de Condé et les premières fautes de Mme de Longueville. Arrêtons-nous ici ; ne franchissons pas le seuil des guerres civiles qui vont suivre, guerres impies où le frère et la sœur amasseront de longs remords, où l’un se signalera par de tristes exploits qu’un jour, à Chantilly, il lui faudra couvrir d’un voile par respect pour sa gloire et pour la France, et où l’autre déploiera les plus brillantes qualités de l’esprit et du caractère pour les pleurer pendant vingt-cinq années aux Carmélites et à Port-Royal !

On le voit : si, comme on le dit, nous sommes épris de Mme de Longueville, nous n’avons pas pour elle une passion aveugle. Ni sa beauté, ni son esprit, ni le charme indéfinissable qui est en elle, ne voilent point à nos yeux ses égaremens ; nous les condamnons sans ménagement pusillanime dès qu’ils vont jusqu’à mettre en péril les intérêts certains et la grandeur de la France.


V. COUSIN.