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la veille et celles qui s’annonçaient pour le lendemain. Les affaires s’étaient arrêtées ou ne se traitaient plus qu’au comptant. On était revenu à cet état de défiance et d’embarras qui marque dans les sociétés les premiers pas de l’échange. La monnaie métallique, circulant à plein canal, a pu entretenir encore un reste de mouvement et de chaleur. En veut-on la preuve ? L’excédant moyen du numéraire importé sur le numéraire exporté, qui n’était, chez nous, avant 1848, que de 80 à 100 millions, s’éleva tout à coup à près de 300 millions pour chacune des années 1848 et 1849. Le numéraire, dans ces temps de trouble, a suppléé les effets de commerce, et il a soutenu toutes les valeurs ; mais dans les époques de calme et de confiance, où il ne règne pas seul et où il concourt, avec les billets de banque et le papier de commerce, à défrayer la circulation, la monnaie d’or et d’argent doit se proportionner au mouvement des affaires. Ce qui fait que 600 millions de francs en écus encombrent aujourd’hui, sans profit pour le pays, les caves de la Banque de France, c’est que les capitaux ne se lancent que sur le marché des fonds publics, et que la reprise du travail sur une grande échelle ne sort pas encore du domaine des espérances pour entrer dans celui des réalités ; mais que l’industrie prenne confiance dans l’avenir, et l’on verra la réserve métallique de la Banque diminuer. Par une conséquence toute naturelle, notre marché attirera les métaux précieux du dehors. En fait, l’or et l’argent sont demandés ; les conditions du travail s’améliorant, on ne pourra que les rechercher davantage.

Ne nous laissons donc ni abattre ni enivrer ; le monde n’est aujourd’hui ni sur le seuil d’un Eldorado ni à la veille d’un cataclysme. Les gens qui prennent l’or et l’argent pour une richesse absolue, qui confondent l’abondance du numéraire avec celle du capital et qui affirmaient que l’or importé de la Californie allait amener la baisse de l’intérêt, se rappelleront que le taux de l’intérêt est déterminé par la confiance, et que la confiance dépend de l’ordre établi dans la société. La Californie elle-même s’est chargée de démontrer leurs illusions, car, dans ce pays où l’on faisait litière de l’or, l’intérêt s’est élevé jusqu’à 8 pour 100 par mois. Ceux au contraire qui, à la vue des galions nouveaux se dirigeant vers l’Occident, ne rêvent que catastrophes et que ruines, ceux qui insinuent qu’un moment viendra où la Banque de France paiera pour qu’on la débarrasse de son or, n’oublieront pas qu’elle le vend aujourd’hui sans difficulté et même en obtenant un bénéfice sur le taux légal, et que le commerce de l’or n’a jusqu’à présent ruiné personne.


LEON FAUCHER.