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d’orthodoxie et de sévérité, n’a jamais de tendance à l’ascétisme ; elle essaierait en vain de maudire la nature. La rigueur janséniste, qui voit partout le piège tendu à l’humaine faiblesse, parle une langue inintelligible au compatriote d’Albert Durer et de Goethe. Un disciple des Wolfram d’Eschembach et des Walther de Vogelweide pourra-t-il jamais admettre que cette nature tant aimée, ces bois, ces prés, ces coteaux du Neckar chargés de vignes en fleurs, aient subi comme nous l’influence du péché d’Adam ? Bien loin de là, il y voit partout le sourire de Dieu. La poésie allemande ne connaît pas même cette grave tristesse d’un cœur pieux qui, sans maudire le monde comme une embûche, le compare avec regret aux domaines où nulle fleur ne se fane. Il y a un bien touchant passage dans l’Hexameron de saint Basile. L’évêque de Césarée se promène dans la campagne, et, voyant fleurir des roses, il s’apitoie sur leur destinée : « Vous avez été condamnées comme nous, s’écrie-t-il, condamnées à naître et à vous flétrir. Si le péché de l’homme n’eût bouleversé la nature, vous vous seriez éternellement épanouies dans le paradis terrestre, sans craindre ni la morsure de l’insecte ni l’haleine meurtrière du vent. » Ce paradis terrestre, ce monde que la malédiction n’a pas encore frappé, la poésie allemande ne le regrette pas ; il semble qu’elle le possède et qu’elle en jouisse. Si sévère que soit l’intention dogmatique de l’auteur, il conduira toujours Jésus-Christ par des chemins embaumés au sein d’une nature toute pleine d’incantations, et la doctrine qu’il veut propager y laissera naturellement quelque chose de sa rigueur. Je sens qu’une vertu est sortie de moi, disait le Sauveur le jour où Madeleine eut arrosé ses pieds avec des parfums ; au contraire, c’est merveille de voir comme cette poésie des races du Nord, dès qu’elle se reprend aux inspirations religieuses, y mêle aussitôt, sans le plus léger scrupule, ce qui alarmerait ailleurs un esprit vigilant. Sa tradition est restée celle du moyen-âge, particulièrement du moyen-âge germanique. Rappelez-vous la plénitude de cœur qui débordait chez saint François d’Assise en des hymnes si chastement ardentes et qui enveloppait l’univers dans ses mystiques effusions. Rappelez-vous surtout l’audace involontaire de celui qui écrivait pour les Allemands les symboliques aventures de Parceval. Comme le moine d’Assise et comme Wolfram d’Eschembach, la poésie catholique, au-delà du Rhin, converse avec les petits oiseaux, elle a des familiarités charmantes avec les fleurs, avec les animaux paisibles, avec tout ce qui vit sous le soleil, et l’ame universelle lui parle par toutes les voix de la création. À coup sûr, il ne faut pas voir là du panthéisme ; n’est-ce pas toutefois un curieux spectacle que ce poète dont l’ambition est de relever l’art catholique, et qui commence par absoudre la nature avec la franchise d’Albert Durer ? Ces innocentes hardiesses de M. de Redwitz ont un caractère bien