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d’Anne d’Autriche, nommée régente du royaume, et le bâtiment, qui portait soixante canons, prit le nom de la Reine. Les nombreux dessins conservés dans plusieurs villes de Provence, où se lisent tous les caprices de cette riche imagination, nous expliquent l’enthousiasme excité par la poupe de la Reine. Et d’ailleurs nous possédons un document plus précis : l’arsenal de Toulon garde avec un soin jaloux des figures sculptées en bois, de la main de Puget, détachées d’un navire construit par lui. Hardiesse, élégance, tout se trouve réuni dans ces débris précieux. Ce qui frappe tous les yeux dans ce travail qui appartient à la jeunesse de l’auteur, c’est la vie qu’il a su donner au bois : il a rendu toutes les parties du corps avec une souplesse merveilleuse.

Le vaisseau la Reine était achevé en 1643 : Puget n’avait encore que vingt et un ans. Mis en apprentissage chez Roman, à l’âge de quatorze ans, dans le court espace de sept années il était devenu maître consommé dans l’art qu’il avait embrassé. En attendant que le hasard offrît à son ciseau une matière plus riche et plus durable, en attendant qu’un protecteur éclairé lui fournît un bloc de marbre, il se contentait modestement de sculpter des poupes de navire, et ne songeait pas à se plaindre de l’injustice ou de l’ignorance de ses contemporains. Instruit par le spectacle de Florence et de Rome, familiarisé avec les monumens de l’art antique, il fouillait le bois, puisque le marbre lui manquait, et n’accusait pas son pays de le méconnaître. Il était soutenu dans ses travaux par une foi vive et sincère. Trop sensé, trop savant pour croire qu’il n’avait plus rien à apprendre, il avait la conscience de sa force et ne désespérait pas de l’avenir. C’est pourquoi je ne crains pas de recommander la jeunesse de Puget comme un enseignement moral : il y a dans les débris conservés à l’arsenal de Toulon quelque chose de plus que l’expression du génie, l’expression d’un caractère vigoureux, d’une ame fortement trempée. Pour un maigre salaire, l’élève de Roman n’hésitait pas à prodiguer les trésors de son imagination : il ne mesurait pas les difficultés de sa tâche à la récompense promise, mais au besoin impérieux qui le dominait, au besoin de devenir le premier dans son art. Il avait vu dans les galeries, sur les places publiques de Rome, les œuvres efféminées de Bernin, et s’était donné pour mission de réagir contre le faux goût introduit dans la sculpture par ces œuvres si follement vantées. Et pour atteindre ce but glorieux, pour détromper la France, qui partageait l’engouement de l’Italie, il ne négligeait aucune occasion : il demandait au chêne, au poirier ce qu’il espérait demander plus tard au Paros et au Carrare. Tritons, néréides, tout lui était bon, pourvu qu’il pût exprimer la vie sous la forme la plus abondante, la plus énergique. Malgré le juste sentiment de son génie, il ne croyait pas déroger en sculptant