Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/791

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comblé d’honneurs, assuré de trouver la gloire et la richesse dans cette seconde patrie, il n’hésita pourtant pas à revenir en France dès que Colbert l’eut nommé directeur des constructions navales à Toulon. Les biographes racontent, à propos de cette nomination, une anecdote curieuse : ce serait sur la recommandation du cavalier Bernin que l’ancien secrétaire de Mazarin se serait décidé à rappeler en France l’élève de Roman. Le sculpteur italien, en voyant les travaux du jeune Marseillais, aurait eu le bon sens et la générosité de déclarer qu’il ne comprenait pas comment le roi s’adressait à des étrangers, lorsqu’il avait sous la main des hommes d’un tel mérite. Ces paroles font d’autant plus d’honneur au cavalier Bernin, que la manière de Puget n’a rien de commun avec la manière du sculpteur italien. Je ne parle pas des statues placées sur le pont Saint-Ange, dont toutes les draperies sont agitées capricieusement par un vent furieux qui s’échapperait de la plinthe. Je prends les meilleurs ouvrages de Bernin, ceux mêmes qui ont réuni, parmi les connaisseurs les plus exercés, de nombreux suffrages, la Daphné de la villa Borghèse et la Sainte Thérèse qui se voit à Sainte-Marie de la Victoire. Ces deux morceaux, qui se recommandent d’ailleurs sinon par un goût sévère, du moins par une rare souplesse d’exécution, n’offrent pas la moindre analogie avec le style de Puget. Et pourtant, sans les paroles de Bernin, Colbert n’aurait pas songé à Puget.

À peine arrivé à Toulon, le jeune Marseillais fut chargé de la construction et de la décoration du vaisseau le Magnifique, de 104 canons. Comme le duc de Beaufort, qui devait bientôt trouver la mort sur ce bâtiment, manifestait son impatience en voyant que les travaux se prolongeaient au-delà de ses calculs, Puget, blessé dans son orgueil, ne put s’empêcher de lui dire : « Si votre altesse n’est pas contente de mes services, je la prie de me donner mon congé. » Le duc, étonné d’une telle hardiesse, répondit sèchement : « Le roi ne retient personne contre son gré. » Puget prit le prince au mot et rentra dans sa maison. Il s’occupait déjà à faire ses malles pour retourner à Marseille lorsque le duc, comprenant sa méprise, lui députa un de ses pages pour le prier de revenir à l’arsenal. Dès que Puget parut, le prince s’avança vers lui, l’embrassa, en témoignant le désir que tout fût oublié. La rancune légitime de l’artiste ne pouvait tenir contre une démonstration si affectueuse : il se remit à l’œuvre et acheva en quelques mois la poupe du Magnifique. Malheureusement le temps nous a envié les débris de cet admirable navire, dont les contemporains s’accordent à louer sans réserve la hardiesse et la majesté. Les figures qui soutenaient la double galerie de la poupe n’avaient pas moins de vingt pieds. Le vaisseau périt dans une bataille navale, et les colosses taillés par la main de Puget sont enfouis au fond de la mer. J’ai rapporté