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plus. Beethoven compose désormais en vue d’un système arbitrairement conçu. Il y a parfois du Paracelse dans ses dernières compositions. Et qu’avons-nous dit autre chose dans une étude[1] que cite M. de Lenz et dont il n’a pas compris le sens ? Le savant docteur nous cherche une véritable querelle d’Allemand, lorsqu’il nous reproche d’avoir pris un accord de quinte diminuée pour l’accord parfait de ré mineur, et puis d’avoir attribué à Beethoven quarante-neuf sonates pour le piano au lieu de cinquante-quatre. Hélas ! si nous n’avions à nous reprocher que de semblables distractions, notre conscience de critique serait parfaitement en repos. Que M. de Lenz nous permette de lui dire que, lorsqu’on écrit un ouvrage sérieux, c’est aussi très sérieusement qu’il faut combattre l’opinion de ceux qui ne partagent pas notre manière de voir, et la façon dont il lui a plu de s’attaquer à des hommes considérables dont les nombreux travaux sont depuis long-temps appréciés de l’Europe n’est pas digne d’un esprit qui se respecte. Ces réserves faites, nous dirons que le livre de M. de Lenz sur les trois styles de Beethoven est un ouvrage curieux, utile et intéressant, qui gagnerait beaucoup à être dépouillé de tous les hors-d’œuvre et des plaisanteries équivoques qu’y a semés l’auteur. Que conclure de tous ces essais plus ou moins heureux de critique musicale ? C’est qu’il ne suffit pas d’être un grand virtuose comme M. Liszt, un réformateur superbe comme M. Richard Wagner, un homme d’esprit et de savoir comme M. de Lenz, pour savoir donner une forme durable à un ensemble d’idées et de faits qu’on a laborieusement entassés dans sa mémoire. C’est le style qui fait les bons livres, et le style n’est pas chose commune, car il suppose les qualités d’un ordre supérieur qui sont aussi nécessaires au musicien qu’à l’écrivain proprement dit. Si des compositeurs comme Rossini, comme Weber ou Meyerbeer avaient voulu condescendre à nous expliquer le secret de leur génie et nous éclairer sur la marche qu’ils ont suivie pour accomplir les œuvres qui les rendent immortels, ils auraient été aussi clairs et aussi logiques qu’ils le sont dans leurs belles partitions. Le désordre de la parole indique le désordre de l’esprit, et pour ceux qui n’auraient pas la possibilité d’entendre la musique de MM. Liszt et Wagner, l’obscurité de leurs écrits peut servir à expliquer l’obscurité de leurs œuvres musicales.

P. SCUDO.


V. de Mars.
  1. Voyez Une Sonate de Beethoven dans la livraison du 1er octobre 1850.