Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on ne peut qu’appeler le temps à son secours, et attendre qu’il vienne en aide au génie inventif du siècle. Les États-Unis sont dans la meilleure position pour procéder avec maturité à l’expérience de l’émancipation, puisque la situation matérielle de la population noire est aussi satisfaisante que possible; mais, si les propriétaires d’esclaves ont le droit de se plaindre que l’émancipation projetée les expose à une spoliation injuste, ils sont tenus de chercher avec ardeur les moyens de conjurer l’orage, d’obéir à la nécessité des temps, et de se délivrer eux-mêmes de la triste obligation de posséder, à titre de bétail, une foule de créatures humaines.

Aujourd’hui, l’esclavage, déjà aboli de droit ou de fait dans la majeure partie des états de l’Union, tend de plus en plus à se restreindre dans les autres. Dans la Virginie, la moitié du territoire est déjà rendue à la culture libre; le Maryland et le Kentucky font des efforts sérieux pour abolir l’esclavage; le Delaware a presque accompli sa tâche, puisqu’il n’y restait, d’après le recensement de 1850, que deux mille trois cent trente-deux individus non libres : les états du nord ont rempli la leur. Dans un temps assez rapproché donc, on peut admettre que le nombre des états anti-slavistes sera augmenté dans une forte proportion, puisque, d’un côté, le Maryland et le Delaware seront complètement affranchis, et que, de l’autre, les territoires dont l’annexion est prochaine, tels que le Nouveau-Mexique et l’Utah, n’entreront dans la confédération qu’à la condition de ne pas tolérer l’esclavage chez eux. Alors il y aura vingt états libres contre treize à esclaves, et le parti anti-slaviste dictera la loi dans le congrès. Ce moment sera suprême pour les États-Unis, car si les états à esclaves sont les moins nombreux, ils sont de beaucoup les plus militaires, et c’est toujours chez eux, dans toutes les grandes occasions, que les armées de la république se sont recrutées des plus intrépides volontaires. Qu’on juge de ce que serait une guerre civile dans un pays qui compte près de deux millions de miliciens parfaitement dressés au maniement des armes. Si cependant on doit reconnaître qu’il faudra une grande prudence de part et d’autre pour éviter une conflagration, il faut espérer que des hommes tels que ceux qui se sont déjà jetés avec courage et succès au milieu des plus ardentes rivalités et ont réussi à faire entendre la voix de la conciliation se retrouveront encore, et feront adopter un nouveau compromis. Les anti-slavistes me semblent d’autant plus imprudens ou plus coupables dans cette occasion, qu’ils se jouent de la fortune de leurs concitoyens sans y mettre rien du leur. Si au moins ils paraissaient disposés à contribuer de leur bourse à la légitime indemnité qui sera due aux propriétaires d’esclaves, on pourrait croire à leur bonne foi; mais c’est tout le contraire, et ils s’engagent dans la question sans se demander si les propriétaires du sud et de l’ouest ne seraient pas ruinés par l’anéantissement du capital énorme que représente la valeur actuelle des esclaves et par l’impossibilité de cultiver leurs terres, inaccessibles jusqu’ici au travail des blancs, il y a là une difficulté si effrayante, une injustice si monstrueuse, que l’on se prend à croire que tout le monde reculera et attendra que le temps et les efforts des hommes à la fois désintéressés et clairvoyans aient pu amener une solution convenable et pacifique. Il est hors de doute, quant à présent, que si l’on veut précipiter les choses, il y aura ruine pour tout le monde sans avantages pour personne,