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En quittant Tuln, Goergei vint à Vienne, où il entra dans les gardes nobles hongrois ; Là encore il se distingua par le sérieux de son humeur, l’austérité de sa conduite, son amour de l’ordre et sa souveraine répugnance pour cette vie de dissipation et de plaisirs que menaient la plupart de ses camarades. L’étude des sciences fut pendant cinq ans son unique distraction. Le temps que la caserne n’employait point, il le donnait à l’université ; dévoré de la soif de connaître, il passait de la botanique à la chimie, de la chimie à l’art vétérinaire. Au bout de cinq ans, nommé lieutenant-colonel aux hussards palatins, il allait aborder les grades élevés, quand tout à coup, cette fureur de science l’emportant, il quitta le service et se rendit à Prague pour s’y livrer exclusivement à la chimie, sous la direction du professeur Redtenbach, alors célèbre en Allemagne. Cependant il y avait à Prague, à cette époque, une jeune Française très agréable, placée chez un banquier en qualité de gouvernante. Notre savant s’en éprit et l’épousa, et bientôt le jeune ménage s’en retournait dans le Zips vivre heureux et tranquille au fond d’une petite gentilhommière située non loin du lieu de naissance de Goergei, et qu’un de ses oncles venait en mourant de lui laisser. C’était compter sans les événemens. Le 15 mars 1848, la patrie se soulève ; le sol hongrois crie au soldat devenu campagnard : Tu dors, Brutus ? et Goergei, à cet appel, accourt à Pesth se mettre à la disposition du ministère madgyar. D’abord on l’envoie à Liège pour un achat d’armes au compte du gouvernement national : à son retour, il passe capitaine à Raab, puis major à Szolnok ; mais Jellachich s’avance à la tête de ses Croates : le commandant Goergei reçoit l’ordre de l’empêcher de franchir le Danube et se rend à l’île de Csépel, où déjà son ingrate et sombre destinée lui tient en réserve la présidence du conseil de guerre qui va condamner à mort le jeune comte Zichy.

Le 27 septembre 1848, les comtes Eugène et Paul Zichy, venant de Stuhlweissenbourg, étaient arrêtés aux avant-postes hongrois et conduits sous escorte au quartier-général d’Adony. Les mémoires de Goergei contiennent à ce sujet un passage infiniment curieux, et qui donne les détails les plus piquans sur la manière tout expéditive dont certains Madgyars comprenaient la justice. Faire massacrer de but en blanc des prisonniers par la multitude, ériger en axiomes pratiques les abominables assassinats des Latour et des Lamberg, c’est là une atrocité que l’esprit se refuse à croire. Il y avait cependant au camp madgyar d’honnêtes officiers pour trouver la chose toute simple. Qu’on en juge :

« J’étais à l’île, de Csépel, quand la nouvelle de l’arrestation des comtes Zichy m’arriva. Pressé d’en savoir davantage et de m’informer par moi-même, je résolus de retourner à l’instant au quartier-général. Dans les rues d’Adony, je, trouvai une population très exaltée, et la masse des volontaires