Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/903

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et le lendemain nous le retrouvons à Pesth, où il dépose entre les mains de Kossuth les valeurs provenant de la succession du comte Zichy. « Kossuth demeurait alors à l’hôtel de la Reine d’Angleterre ; il était malade et gardait le lit. Je parvins à le voir cependant et lui remis, avec mon rapport à la diète, tout ce que j’avais inventorié de précieux. Je me souviens aussi très distinctement qu’à l’examen que nous passâmes en présence de plusieurs témoins, le contenu des boites fut trouvé parfaitement intact, et que pas un des articles enregistrés à Kalöszd ne manquait[1]. » Assez sur cette histoire, et passons à des faits d’un ordre plus relevé.

L’inexorable fermeté dont Goergei donna l’exemple dans le procès militaire du comte Zichy ne laissa pas de produire une forte impression sur Kossuth. Évidemment c’était un chef désigné au commandement supérieur de l’armée hongroise que ce jeune officier qui marquait ainsi sa place partout où la confiance du gouvernement l’appelait, intrépide au feu, résolu dans les conseils, joignant à la hardiesse du coup de main cette maturité de jugement qui sauvegarde l’esprit et le rend inaccessible aux chimères. Kossuth, en adoptant Goergei comme il le fit à cette époque, ne comprit pas toute la portée de cet homme ; il crut se préparer une créature, il se donnait un rival, plus qu’un rival, un maître ironique et superbe, dont le persiflage et le dédain devaient finir par le tuer. Éternelle vicissitude des révolutions : elles commencent par la parole, elles aboutissent à l’épée. Tout se paie en ce monde, et Némésis a de justes résipiscences. Kossuth avait écarté Batlhyani ; mais Kossuth se vit à son tour écarté par Goergei, et l’heure devait sonner où la fière épée du général crèverait l’outre d’où les vents et les tempêtes s’étaient déchaînés sur la Hongrie.

Le 4 octobre, Goergei fut nommé major au corps d’opérations du colonel Perczel. Il s’agissait de couper aux impériaux les chemins de Stuhweissenbourg et de les refouler vers le sud, ou de les maintenir en position jusqu’à ce qu’on eût reçu du renfort. Malheureusement la troupe auxiliaire sur laquelle on comptait n’était autre que cette fameuse Landsturm, espèce de garde nationale révolutionnaire organisée à grands frais d’éloquence par Kossuth, et dont, si je m’en fie aux bulletins des généraux, l’appoint flattait médiocrement les combattans sérieux de l’armée expéditionnaire. « En tant que commandant supérieur des gardes nationales du sud, écrit Goergei, je n’ai jamais pu me rendre compte, même approximativement, des services que, dans un temps ou dans un lieu donné, j’étais en mesure de leur demander. La garde nationale venait ou ne venait pas, selon que la fantaisie l’en prenait. D’ordinaire, elle arrivait volontiers quand elle supposait

  1. Mein Leben t. Ier, p. 51.