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l’ennemi à distance ; l’ennemi s’approchait-il, aussitôt elle décampait à toutes jambes. Bref, elle se plaisait à éviter la présence des impériaux, et lorsque, par impossible, il se faisait qu’elle se trouvât assez près de l’ennemi pour entendre sa fusillade, elle se mettait à crier à tue-tête : Nous sommes trahis ! et à courir à travers champs comme si le diable l’emportait. » Ces braves gens avaient pour les canons une prédilection toute particulière. Ils s’y attelaient avec enthousiasme et les traînaient de gaieté de cœur, alors même qu’on ne le leur demandait pas. Leur première question à quiconque prétendait les mener à la bataille était celle-ci : « Avez-vous du canon ? » Si vous leur répondiez oui, ils s’y attelaient à l’instant ; mais, dans le cas contraire, ils vous plantaient là le mieux du monde.

Goergei, qui devait être l’ame dirigeante de cette campagne couronnée par le beau succès d’Ozora, n’eut guère à se louer de ses premiers rapports avec Perczel. Dès son entrée en fonctions, il critiqua hautement les plans de ses supérieurs, lesquels lui paraissaient détestables, et prit sur lui d’informer le gouvernement des bévues qui se commettaient au camp, déclinant d’avance toute coopération à un état de choses qui ne devait amener que des désastres. « Cette mesure, ajoute-t-il, avait pour but, soit d’amener à mes conseils le colonel Perczel, dont les capacités militaires ne m’inspiraient aucune confiance, soit d’obtenir mon éloignement du corps d’opérations qu’il commandait, car je sentais que je ne m’accommoderais jamais de la façon dont cet officier menait la guerre, et d’une impéritie totale que, dès les premiers jours, j’étais à même de juger par ses résultats. » Ce Maurice Perczel, espèce de guerrillero hongrois, d’Empecinado madgyar, à qui ses férocités dans le Banat méritèrent plus tard le surnom d’hyène de Kovilj, ce Perczel ne se distinguait pas précisément à cette époque par l’élégance des manières et l’atticisme du discours. Toute résistance produisait sur lui l’effet de ces flammes de drap écarlate qu’on agite devant les taureaux ; il s’emportait alors, et ses colères touchaient au délire. Cette fois, le taureau avait dans son antagoniste un de ces lutteurs fiers, sceptiques, sûrs d’eux-mêmes, qui sont le désespoir et la perdition des tempéramens furieux. — Mais vous ne savez donc pas, dit un jour Perczel ne se contenant plus, que si mon parti est fort dans la diète, il prévaut aussi dans le sein du comité de défense nationale, et qu’il me suffirait de dire un seul mot pour vous anéantir ! — A quoi je répondis, poursuit Goergei, que la cause au service de laquelle je m’étais engagé n’était point celle de son parti, mais de mon pays, dont l’intérêt m’ordonnait de me déclarer contre lui et ce parti, si puissant qu’il pût être. — La réplique, à ce qu’il semble, ne fit qu’exaspérer encore davantage le malheureux Perczel, qui, hors de lui, appela la garde et voulait que Goergei fût à l’instant fusillé.