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choses pour ce qu’elles sont, devait, vis-à-vis d’une situation pareille, adopter raisonnablement le plan de campagne de Kossuth, qui consistait à marcher droit sur Vienne. À ses yeux, commencer une guerre offensive avec les forces incohérentes dont on disposait, c’était courir à la déroute, et il n’y avait, disait-il en souriant, qu’un général Kossuth qui pût vouloir mettre à exécution des idées de ce genre. Kossuth cependant n’en démordait pas, et un beau soir on apprend au quartier-général de Parendorf que le chimérique agitateur est arrivé à Nikelsdorf, entraînant à sa suite des milliers de héros. À cette nouvelle, Moga et son état-major se rendent auprès de Kossuth, et là s’ouvre un conseil militaire sous la présidence du dictateur. Kossuth fut éloquent, il représenta la marche sur Vienne comme une nécessité qu’imposaient les circonstances, comme un devoir sacré auquel on ne pouvait faillir sans se couvrir d’ignominie ; il peignit sous les plus vives couleurs le dévouement des Viennois à la liberté de la Hongrie et la solidarité glorieuse des deux causes. « Vienne est encore debout ! s’écria-t-il en terminant : le courage de ses habitans, de nos chers et fidèles alliés, résiste encore aux attaques impies des généraux réactionnaires ; mais, si nous ne nous hâtons de leur venir en aide, ils succomberont, car la lutte qu’ils soutiennent est inégale. Volons donc à la défense de Vienne, l’honneur ainsi l’ordonne, et soyez sûrs, messieurs, que la victoire nous y attend. J’amène avec moi, pour servir de renfort à votre belliqueuse armée, douze mille guerriers qu’à défaut de l’expérience militaire enflamme la sainte ardeur du patriotisme, et qui brûlent du désir de disputer à leurs camarades plus aguerris les lauriers du champ de bataille. En avant donc, messieurs, en avant ! nos amis de Vienne nous appellent, et la Hongrie ne faillira jamais à la cause de ses amis ! »

À cette politique de sentiment, le général Moga répondit par des motifs stratégiques et aussi par des explications sur la manière dont il entendait concilier sa conduite actuelle avec le serment prêté jadis par lut au drapeau autrichien ; puis vint le tour de Goergei. Laissons-lui la parole et contentons-nous de traduire ce langage net et précis, ce parfait bon sens qui jette sur une discussion la simple et calme lumière du vrai.

« Je mets de côte la question politique et m’en tiens au seul point de vue militaire : eh bien ! moi, je le déclare, nous ne sommes pas dans le cas de prendre l’offensive. Il est indispensable que les troupes destinées à ce genre d’opérations connaissent les manœuvres, il faut que chacune des parties formant le tout soit capable d’exécuter à l’heure dite, et en harmonie avec le reste, les mouvemens prescrits. Or une très petite portion de notre armée connaît la manœuvre. Si j’excepte quelques régimens réguliers et un ou deux bataillons d’honveds, nos troupes se composent de soldats incapables de faire