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tous pour l’établissement des nouvelles colonies. Là, le nègre se retrouvait chez lui, et les progrès de l’émigration noire ne pouvaient risquer de porter ombrage à aucune puissance blanche. A pareille distance, les colons blancs les plus obstinés dans leurs préjugés pouvaient reconnaître les droits politiques et civils de leurs anciens esclaves; ils pouvaient même sans crainte se faire honneur de principes libéraux et figurer dans des meetings anti-slavistes.

En 1820[1], le premier bâtiment de la Société de colonisation, l’Elisabeth, mit à la voile pour la côte d’Afrique, et débarqua quatre-vingts émigrans noirs et plusieurs agens chargés de préparer les voies à une installation régulière. Le point fut, dit-on, mal choisi: le climat était fort malsain, la saison défavorable, et la mortalité fut effrayante parmi le personnel de cette première expédition; on l’évalue à un tiers. Loin de se décourager, la société prépara une tentative nouvelle en 1821, et cette fois l’émigration fut dirigée sur Sierra-Leone, avec ordre d’attendre que tout fût prêt aux lieux désignés pour un établissement définitif. On négociait cependant avec les chefs indigènes, et le 15 décembre 1821 fut signé un traité qui livrait à la Société de colonisation américaine un territoire qui s’étendait à partir du cap Mesurado sur une longueur de côtes et une profondeur dans l’intérieur assez restreintes d’abord (on l’évaluait à 130 milles de côtes sur 40 milles de profondeur, soit 209 kilomètres sur 64), mais qui successivement a été augmenté de diverses annexes. Les dimensions du nouvel état peuvent être aujourd’hui calculées sur une longueur de côtes de près de 800 kilomètres et une profondeur de 130 kilomètres dans l’intérieur du pays. Le premier contrat, signé par la société avec les chefs indigènes, est assez curieux pour mériter d’être transcrit ici. En voici la traduction :

« Qu’il soit fait savoir à tous que ce contrat a été fait le 15 décembre 1821 entre le roi Peter, le roi George, le roi Zoda, le roi Long Peter, leurs princes et leurs chefs, — d’une part;

« Le capitaine Robert T. Stockton et le docteur Eli Ayres, — d’autre part.

« Attendu que certaines personnes, citoyens des États-Unis d’Amérique, ont le désir de s’établir sur la côte ouest de l’Afrique, et qu’elles ont chargé avec pleins pouvoirs le capitaine Robert T. Stockton et le docteur Eli Ayres de traiter et acheter de nous le territoire de... (Suit la description du territoire.)

« Étant pleinement convaincus des intentions justes et pacifiques desdits citoyens, et étant désireux de leur prouver la réciprocité de leur amitié, et toutefois en considération de ce qu’il nous a été payé comptant, nommément six mousquets, une boîte de perles de verre, deux boucauts de tabac, un baril de poudre, six barres de fer, dix pots de fer, douze couteaux et douze fourchettes, douze cuillers, six pièces de toile de Guinée bleue, quatre chapeaux, trois habits, trois paires de souliers, une boîte de pipes, un baril de clous, trois miroirs, trois pièces de mouchoirs, trois pièces de calicot, trois cannes, quatre parapluies, une boîte de savon et un baril de rhum;

« Et qu’il nous sera payé plus tard ce qui suit ;

« Six barres de fer, une boîte de verroterie, cinquante couteaux, vingt miroirs, dix pots de fer, douze fusils, trois barils de poudre, douze plats, douze

  1. Dès 1818, MM. Mills et Burgess avaient visité l’Afrique, afin de chercher un point favorable pour le premier établissement. Leur voyage était resté sans résultat.