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et qu’en attendant, on transportait le siège du gouvernement de Pesth à Débreczin. La voie des négociations ! Mais Kossuth ne se souvenait donc plus de l’attitude prise dès le premier jour par Windisch-Graetz vis-à-vis des ambassadeurs de la junte madgyare, et la superbe réponse du maréchal avant l’affaire de Schwechat, il l’avait donc entièrement oubliée ? C’était fou, c’était absurde. Goergei explique à sa manière cette politique du désespoir, « Kossuth, qui, pendant deux grands mois, avait repoussé mes conseils réitérés d’établir derrière la Theiss le centre du gouvernement, Kossuth qui parlait toujours de s’ensevelir sous les ruines de Raab, puis sous les décombres de Ofen, avait fini par s’apercevoir que Ofen et Pesth, pas plus que Raab, n’étaient la Hongrie tout entière, et que, mourir pour mourir, le gouvernement provisoire pouvait, en fin de compte, aussi bien mourir à Débreczin ou en tout autre lieu. Quel motif avait donc amené Kossuth à se rendre soudainement à mes conseils ? Était-ce un coup d’œil prophétique jeté dans un avenir plein de gloire ? Non, certes, pas le moins du monde, mais tout simplement la peur pour sa peau[1] ! » Le général Perczel appartenait aussi à cette opinion qui prétendait qu’il fallait s’ensevelir sous les ruines des villes. « Par bonheur pour Ofen et Pesth, remarque spirituellement Goergei, Perczel était un de ces hommes dont les proclamations eussent (à défaut d’autres documens) fort contribue à jeter la perturbation dans l’esprit des historiens en les envoyant un jour chercher les ossemens des divers membres de la junte nationale sous les décombres de telle ou telle capitale. »

La campagne de Goergei à travers les Karpathes est, au dire des officiers les plus compétens, un fait militaire digne d’être comparé à la fameuse retraite du général Moreau. Cette tactique habile sauva, pour cette fois du moins, la cause de la Hongrie. Serré entre les quatre corps d’armée des généraux autrichiens Csorich, Simmünich, Goetz et Schlik, il sut, à force de talens stratégiques, leur échapper, et vint, après une marche de nuit dans la montagne, prendre à Windschacht une position d’où les impériaux tentèrent vainement de le débusquer. Ici se place la célèbre proclamation de Waitzen, ultimatum politique de Goergei, et qui pose définitivement, en termes non équivoques, la mesure dans laquelle lui et son armée entendent se conduire, ce qu’il adopte et ce qu’il répudie, ce qu’il reconnaît et ce qu’il foule aux pieds, ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas. « Les idées anti-dynastiques étaient des plantes exotiques sur le sol de la Hongrie. Comment elles y avaient pris racine, — par l’opération des bavards populaires ou par la désastreuse influence des faits accomplis, — mes vieux soldats ne s’en préoccupaient guère ; mais ils commençaient à soupçonner les

  1. Mein Leben, t. Ier, p. 136.