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pour la ville d’Erlau et pour la nation tout entière. Exaspéré par cette sotte manifestation, j’envoyai à tous les diables les malencontreux défenseurs de l’honneur municipal et national. Dembinski, qui ne comprenait pas un mot de hongrois, entra dans une colère encore plus violente ; il gesticulait, s’emportait, menaçait, et, mon chef d’état-major s’étant mis de la partie, nous finîmes par avoir raison de ce tas d’imbéciles, et nous allions nous remettre en route quand Dembinski me demanda ce que voulaient ces braves gens. Je lui traduisis leurs intentions essentiellement patriotiques, et, me croira-t-on ? le général, émerveillé de la justesse de ce point de vue, ordonna d’arrêter et d’attendre là jusqu’à ce qu’on se fut procuré de meilleurs chevaux et un équipage plus convenable. Cependant Dembinski ne tarda pas à se repentir de sa résolution, car, en dépit de l’empressement avec lequel un des citoyens d’Erlau s’était lancé à la découverte d’une berline quelconque, une bonne demi-heure s’écoula sans qu’on vît apparaître le moindre véhicule, et la canonnade, en attendant, allait toujours son train. Nous avions, par mesure de prudence, gardé nos places dans la cariole, car le patriote en question pouvait ou arriver trop tard ou même ne pas venir du tout. À chaque coup de canon qui ébranlait l’atmosphère, Dembinski bondissait, puis retombait plus furieux sur le sac de paille qui nous servait de siège. Comme cette situation pouvait à la longue devenir ridicule, même aux yeux des citoyens d’Erlau, je conseillai au général de descendre ; mais Dembinski, à bout de voie, ne voulait plus ni descendre ni attendre, et commandait qu’on poussât en avant la patache, manœuvre désormais devenue impossible, vu le flot toujours grossissant des patriotes de la ville, lesquels ne cessaient de nous annoncer la prochaine venue de la calèche. Enfin elle parut, et l’on n’eut point à regretter un conflit inégal entre l’impétueux général et les trop flegmatiques citoyens d’Erlau. »

À peine a-t-on changé de voiture, que voilà cette singulière course au canon qui recommence. « Nous galopions vers Verpelét, et plus nous approchions du champ de bataille, plus s’exaltait la fureur de Dembinski. Autant que j’en pouvais juger par les exclamations dont il nous régalait chemin faisant, notre général se trouvait pris au dépourvu. « Je ne voulais point cela, s’écriait-il, c’est trop tôt ! » J’avoue que, s’il en était ainsi, on ne saurait trop vivement tancer et réprimander messieurs les généraux autrichiens pour s’être permis d’engager de la sorte une affaire sans prévenir leur monde et s’informer au préalable s’il lui convenait d’être attaqué à tel jour et à telle heure. »

Le 26 donc au matin, les colonnes autrichiennes Schwarzenberg et Wrbna tombaient sur les Hongrois à une lieue environ du petit village de Kapolna. Le général Dembinski, saisi à l’improviste, essaya d’abord de lancer contre l’aile gauche des impériaux, espérant y porter le désordre, deux bataillons de honveds postés à la garde d’un bois situé au versant des monts Matra, sur lesquels s’appuyait l’aile droite des Hongrois. Vains efforts, le bois fut emporté à la baïonnette par l’infanterie autrichienne. Alors s’avança la cavalerie tout entière pour