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par un tardif, mais glorieux retour, couronnait les armes nationales, où les célébrer, sinon dans l’antique cité métropolitaine ? « A quoi sert de vaincre ? murmuraient ceux-ci, pourvoir la ville sacrée, où nos vieux rois ceignaient jadis le diadème de saint Etienne, incessamment tenue en respect par l’artillerie des impériaux, pour voir Buda menacer Pesth d’un bombardement fratricide ? — A quoi sert de vaincre, soupiraient celles-là, s’il nous est interdit de goûter aux fruits si doux de la victoire ? Eh quoi ! je suis la femme du triomphateur, et je ne trône point dans un palais ? Eli quoi ! je suis la sœur du souverain, et nul ne sait où venir me rendre hommage ? Eh quoi ! point de réceptions ni de galas, point de Te Deum ni de bals, et vous appelez cela vaincre ! Dérision ! Il faut reconquérir Pesth, il faut reconquérir Buda : un pays où le gouvernement n’a point de capitale pour y placer son siège, un pays où l’on ne danse pas, n’est point une patrie. Aux armes ! Nous voulons danser, aux armes ! et que Windisch-Graetz paie les violons ! » Ainsi parlait l’escadron féminin, ainsi d’aveugles politiques se prononçaient au sein de la diète. Et Goergei reçut l’ordre d’abandonner le terrain de ses opérations, d’interrompre ses plans de campagne et de venir, toute affaire cessante, mettre le siège devant Ofen. « Misérable régiment de cotillons ! s’écria le jeune héros de Komorn en recevant cette injonction funeste, dorénavant tout est perdu. » On se demande comment ce Goergei, auquel d’habitude un acte de révolte coûtait si peu, au lieu de refuser hautement d’obéir cette fois à l’absurde volonté de Kossuth, baissa la tête et s’en fit l’instrument. Il n’y a qu’une manière d’expliquer cette contradiction : c’est qu’à dater de ce moment, Goergei entrevoit le terme inévitable de la lutte impossible qu’il soutient au nom de son pays, et sa dernière illusion, si tant est qu’il en ait jamais eu, s’évanouit et disparaît. Il devient fataliste et se résigne.

Lorsque de Waitzen vous descendez le Danube jusqu’à Pesth, vous voyez, sur la rive droite du fleuve, s’élever, presque vis-à-vis de la cité madgyare, un groupe de collines formant amphithéâtre. Le Kalvarienberg, le grand et petit Schwabenberg, le Spitzberg et le Blocksberg composent la galerie la plus élevée de ce pittoresque pourtour au pied duquel se déroule majestueusement le Danube. Au bord du fleuve, et comme au sein de cet amphithéâtre, se dresse un pic aigu que surmonte une citadelle : c’est Ofen. De même que ce plateau domine le Danube, ainsi le Kalvarienberg et le Blocksberg dominent ce plateau, et de ces sommets il est aussi facile de bombarder Ofen qu’il est aisé d’écraser Pesth du haut de la forteresse d’Ofen, d’où les gens du métier pourront conclure que Ofen ne devient une position stratégique tenable qu’autant qu’elle aura pour la défendre des forts détachés placés sur les hauteurs du Kalvarienberg et du Blocksberg. Comme