Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/939

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

charmans qui se puissent lire. Je laisse aux juges compétens d’apprécier à sa haute valeur la partie stratégique, tous ces plans d’opérations, tous ces exposés de manœuvres, tous ces récits de marches et de contremarches ; mais ce que je ne saurais trop louer, c’est l’originalité parfaite de ces deux volumes, qui pouvaient en somme n’être que le monument toujours assez peu accessible d’un tacticien habile, et qui sont, au contraire, l’œuvre d’un homme d’esprit, d’un observateur plein de finesse et de tact, d’une plume à qui pas un ridicule n’échappe. Comme tous les détails de cette guerre de Hongrie, l’un des épisodes les plus émouvans des annales contemporaines, y sont saisis et commentés ! Comme tous ces personnages mis en évidence par les événemens et jusqu’alors, hélas ! si défigurés par la polémique banale des journaux, s’animent pour la première fois ; et pour la première fois vivent à nos yeux de la vie de l’histoire ! Quel tableau de la Hongrie que ce livre écrit par un homme qui ne se passionne jamais, et raconte froidement les choses grandes et petites auxquelles il a pris part ! En présence de ces divisions intestines, de ces querelles entre généraux qui rappellent incessamment le camp de Waldstein, en présence de cet éternel désarroi, on se demande à chaque page de ce livre comment l’Autriche a dû finir par faire appel aux armes russes : « Ah ! si Windisch-Graetz avait pu voir où nous en étions en ce moment ! » s’écrie quelque part Goergei, énumérant les misères du début. C’est qu’en effet le prince Windisch-Graetz ne voyait rien et ne voulait rien voir, et plus tard, quand les véritables hommes d’action entrèrent en campagne, le tour était joué, les ongles avaient cru au lion hongrois, les honveds avaient appris à marcher à l’ennemi. À propos des honveds, je noterai dans l’ouvrage de Goergei une lacune regrettable. Pourquoi, par exemple, ce silence obstiné sur la manière dont se forma son armée ? Nous venons de laisser Goergei tout à l’heure aux prises avec de misérables recrues qu’il bafoue et dont il désespère, et voilà que nous le retrouvons tout à coup à la tête de troupes fermes et résolues avec lesquelles il bat les Autrichiens aux deux journées décisives de Waitzen et d’Issaszeg ! Ces troupes, comment se sont-elles si vite ravisées ? Par quel prodige cette milice ridicule est-elle en quelques semaines devenue une armée sérieuse ? Pourquoi Goergei ne le dit-il point ? Serait-ce, par hasard, que l’insurmontable antipathie que Kossuth lui inspire l’empêche de rendre au dictateur la juste part d’éloges qui lui revient en cette affaire ? L’éloquence de Kossuth, impuissante sur les champs de bataille, avait l’inappréciable mérite de savoir susciter les populations des campagnes et les préparer à la discipline du drapeau, et puis Kossuth était l’homme des ressources infinies. Nul mieux que lui ne s’entendait à procurer de l’argent aux généraux. Dans un pays où l’agriculture est eu quelque sorte l’unique industrie, où le commerce n’existe qu’à l’état le plus élémentaire, le