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numéraire doit naturellement n’avoir qu’une circulation allanguie et médiocre, et l’argent, livré partout ailleurs au va-et-vient des transactions, finit par s’accumuler aux mains des riches particuliers. Cette loi d’économie politique, spécialement applicable à son pays, Kossuth ne l’ignorait pas, et ce fut le grand art de sa parole de remuer les espèces au fond des coffres-forts, et d’amener sur l’autel de la patrie les doublons qui dormaient au fond des escarcelles. Dans quelle mesure l’éloquence du dictateur, et au besoin les argumens irrésistibles que tout pouvoir révolutionnaire sait employer lorsque les circonstances le commandent, — dans quelle mesure ces divers élémens combinés aidèrent-ils à la formation de l’armée de Goergei ? Nous ne le saurions dire. Cependant, comme l’argent passe assez généralement pour le nerf de la guerre, et que Kossuth avait le secret d’en trouver, il nous paraît impossible que le dictateur madgyar n’ait pas eu quelque influence sur la formation du corps d’armée de Goergei, et nous persistons à reprocher au général d’avoir refusé, dans ses mémoires, de rendre à Kossuth ce qui appartient à Kossuth.

Ces injustes réticences, hâtons-nous de le dire, n’atteignent que l’ennemi domestique (celui de tous, il est vrai, envers lequel on aime le moins à se montrer généreux) ; elles ne se reproduisent point à l’égard des autres adversaires que Goergei rencontre journellement sur le terrain du combat ; car, s’il n’arrive jamais au général hongrois (et qui oserait le lui demander ?) d’afficher une grande prévention en faveur des troupes autrichiennes, il lui est cependant impossible de ne rien laisser transpirer au dehors de la secrète estime où il tient cette armée régulière et disciplinée, et de l’envie que, du milieu des bandes tumultueuses qui l’entourent, il porte lui, chef involontaire d’une nuée de partisans, à ces généraux commandant des corps homogènes, à tous ces nobles officiers qu’il ne peut oublier d’avoir eus jadis pour frères d’armes. Quand cet homme, qui, trois ans plus tôt, aurait versé jusqu’à la dernière goutte de son sang pour mériter la croix de Marie-Thérèse, repousse ironiquement les honneurs à lui décernés par Kossuth, il y a dans l’amertume de son refus quelque chose des remords que dut ressentir Moreau en tirant l’épée contre le drapeau de sa jeunesse. Au premier rang des officiers impériaux qui figurent dans l’ouvrage de Goergei, il en est un, le général Schlik, que les chances de la victoire ramènent sur la scène à tout instant. Kapolna, Kaschau, Miskolcz, belles journées pour les armes autrichiennes, et dont la promptitude d’esprit et la bravoure de Schlik firent le succès ! Pour nous qui avons connu à cette époque l’intrépide général, c’est une véritable joie de voir cette chevaleresque physionomie se profiler à l’horizon, et de retrouver là cet homme aimé de tous, ce glorieux soldat à qui le jeune empereur devant Raab criait : « Bravo, Schlik ! » et