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longue cependant à se faire sentir, et à peine en surprend-on trace durant toute la présidence de Lawrence. Lawrence lui-même, — qui avait vingt-deux ans à la mort de Reynolds et qui avait déjà montré assez de talent pour être élu académicien avant l’âge et nommé premier peintre du roi, — ne sortit pas des vieilles traditions, et le succès qu’elles lui valurent les rendit populaires comme moyens de fortune et de réputation. Ce fut seulement après sa mort (1830) que des tendances nouvelles se révélèrent dans la direction des idées et des études. Encore l’exposition de 1835 ne nous présente-t-elle pas plus de trente tableaux dont les sujets fussent d’un ordre à réclamer quelque chose de plus que les à-peu-près de dessin et les tours factices de brosse qui s’étaient universellement propagés. Bien plus, parmi ces trente tableaux, il n’y en avait pas dix où l’on pût reconnaître de solides principes de dessin dans le trait ou le modelé des diverses parties de la figure humaine. Bref, pour arriver aux premiers signes bien marqués de la transformation qu’on peut observer dans l’exposition de cette année, pour voir se produire nettement ce changement de foi, nous disons mal, ce changement de secte, — car l’art est un, quoique son culte puisse prendre mille formes, — il faut descendre jusqu’au concours ouvert en 1842 en vue de la décoration des chambres du parlement. Les artistes anglais, cette fois, étaient forcés par le programme de se mesurer avec de grandes compositions, empruntées soit à l’histoire d’Angleterre, soit aux œuvres de Shakspeare, Spencer ou Milton, et les cent quarante cartons qui répondirent à l’appel des commissaires furent une sorte de révolution. Quand l’exposition de ces cartons eut lieu l’année d’après, Londres vit ce qu’elle n’avait certainement jamais vu : une collection importante de dessins de figure humaine aussi grands que nature.

Que l’effet produit ait continué à se faire sentir jusqu’à ce jour, cela ne pourrait faire doute, du moins pour quiconque a suivi de près les expositions de Royal Academy, car il ne faudrait pas se mettre ici au point de vue du public parisien, habitué à voir les prétendans au style et au dessin se déployer sur d’ambitieuses surfaces. Les dimensions des tableaux anglais sont généralement modestes. Les portraits mis à part, les salles de l’Académie ne renfermaient cette année qu’une seule composition qui dépasse 6 pieds dans sa plus grande étendue. Par conséquent les figures, même dans les sujets sérieux, ne sont que de demi-grandeur. Si, dans de telles dimensions, il n’est pas impossible aux plus hautes qualités de l’art de se faire jour (et cela n’est pas impossible), il n’est pas moins constant que les amples proportions contribuent pour beaucoup au grandiose et au déploiement de certaines qualités d’ordre supérieur. En elles-mêmes, elles imposent, et tout près de nous, à Paris, nous n’aurions pas de peine à désigner des œuvres