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est la forme primitive de la musique, celle aussi qui est le plus généralement sentie. À une phase plus avancée du progrès correspond l’harmonie simultanée. Par la suite, avec plus de lumières, peut-être découvrira-t-on que ce sens de l’harmonie est, en plus de la faculté de percevoir, un des complémens fondamentaux, sinon l’unique, d’où résulte la puissance de saisir des ressemblances et des différences, celle de combiner des idées, le raisonnement, — en un mot, tout ce qui établit la démarcation entre l’homme et la brute.

Cela toutefois ne nous empêche pas de croire à l’existence des aptitudes, des génies particuliers. Qu’ils soient des capacités distinctes ou des fonctions spéciales d’un même organe, qu’ils tiennent à ce qu’une ou deux puissances de l’organisme ont un excès de force, ou à ce que les autres facultés, en étant moins actives, laissent à celles-là plus de jeu, il n’en est pas moins certain que la peinture, comme la musique, réclament l’intervention directe d’un de ces développemens extraordinaires, — et cette forme d’aptitude, nous voyons qu’en France elle est à la fois et plus commune et de plus haute portée qu’en Angleterre. Dans les arts du dessin, en tous cas, elle s’y est largement manifestée par le merveilleux succès avec lequel les artistes français savent rendre les réalités. L’idéalisme de l’école nationale a peu d’élévation, il est vrai, et est en grande partie traditionnel : son originalité à elle est dans sa magistrale manière de traduire les formes palpables et le caractère des passions évidentes ; mais, sous ce rapport comme sous le rapport de la grandeur, qui est la solide dignité du vrai et de la force, la France jusqu’ici n’a pas été égalée ; l’Angleterre même est loin, pour le moment, de la rejoindre.

Pour autant un fait reste certain : c’est qu’un travail de transformation est en voie de s’opérer dans l’école anglaise. Après s’être long-temps abandonnée aux attraits de la couleur et aux entraînemens d’une imagination qui n’était pas toujours plastique ; après avoir marché dans des voies où elle a parfois trouvé la poésie, rarement le grand caractère, faute de se préoccuper suffisamment des formes, voilà qu’elle se tourne maintenant vers le dessin et l’étude du vrai. Ce qui peut sortir de là, l’avenir nous l’apprendra ; il se peut qu’une connaissance plus positive des lignes et des formes réelles développe le sentiment des formes plastiques. Il se peut aussi que plus de science éloigne encore davantage les artistes de l’art, en les menant à cette exactitude littérale qui peut être philosophique, dramatique, tout enfin, sauf du génie pittoresque, parce qu’elle se borne à dérober le langage de la peinture pour l’appliquer à un but étranger à cet art. Attendons.


G.-H. DARLEY.