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SEMEN, après avoir conféré quelque temps à voix basse avec Boris. — Le seigneur tsar et grand prince de toutes les Russies, votre seigneur et maître, Boris Fédorovitch a entendu la requête de son armée du Don. Il répond que ses lois doivent être humblement observées par tous les sujets de son vaste empire; que les Cosaques abusent des privilèges qui leur ont été accordés; que récemment encore, et malgré ses ordres exprès, ils ont fait une incursion sur les terres du khan des Tartares, allié et vassal du tsar. Le tsar veut que les prisonniers soient rendus et les coupables punis.

PREMIER ATAMAN. — Notre père, lorsque Ivan Vassilievitch, qui maintenant est dans la gloire, recevait les députés des atamans du Don, il n’empruntait pas la langue d’un serviteur pour leur répondre. Cet homme qui parle en ton nom ne t’a pas entendu quand, à ton avènement, tu as promis de conserver à ta fidèle armée du Don tous ses antiques privilèges. Cet homme n’a jamais sans doute combattu contre les Tartares; il ne sait pas que ces maudits n’ont pas plus de foi que des chiens, et que si nous avons pris les armes, c’est parce que les Nogaïs nous avaient enlevé six chevaux, deux enfans et une femme, sauf le respect qui t’est dû. Et pourquoi le Cosaque, qui tous les jours verse son sang pour la religion, serait-il obligé d’acheter à des marchands voleurs l’eau-de-vie?...

BORIS. — Assez, ataman. Je ne demande pas à un Cosaque des leçons pour gouverner mes états. Quel est ton nom?

PREMIER ATAMAN. — Je me nomme Korela, et des premiers j’entrai dans Kazan et j’y arborai la croix et l’aigle à deux têtes. Devant Moscou, en 7099, j’ai servi sous tes ordres. Tu étais le régent de l’empire alors, et tu disais que sans les Cosaques l’empire était perdu.

BORIS. — Korela, je pardonne à l’ignorance d’un vieux soldat. Retourne à ta horde et fais-lui connaître mes commandemens. Dis à tes Cosaques qui voudraient distiller de l’eau-de-vie que je puis pardonner à un brigand et à un assassin, mais jamais à un fraudeur[1]. Que si les Tartares violent les trêves, c’est à moi qu’il faut demander justice. Je ferai respecter les frontières de l’empire. Que tout le monde se retire, excepté les boyards du conseil. (les Cosaques sortent en murmurant à voix basse.)

JOB, à Yourii. — Reste, enfant. (A Boris.) Seigneur, permets-moi de te présenter cet humble ver de terre[2], un pauvre orphelin de l’Ukraine échappé aux embûches des Latins, qui voulaient le contraindre d’abjurer la religion orthodoxe. La Providence a permis qu’il découvrît un complot.

BORIS. — Un complot!

JOB. — Contre ta vie, peut-être, et assurément contre le repos de ton empire. Ce matin, dans la chaire de la cathédrale, ce garçon, qui est mon secrétaire, allait porter les saintes Écritures, lorsqu’il a trouvé ce papier avec le sceau pendant, dont il va te donner lecture. Il y a long-temps que ma vue affaiblie ne me permet plus de lire les manuscrits.

YOURII, lisant. — « Au patriarche Job, pour être lu dans la cathédrale après l’office. Démétrius Ivanovitch, tsarévitch et prince de toutes les Russies,

  1. Mot de Boris.
  2. Bednii tcherv, expression autrefois en usage dans les placets adressés aux tsars.