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exorcismes du papa vaudoux, d’excellens conseils, dont voici malheureusement la conclusion : «Cette mort violente, cet assassinat imprévu, le doit-on au pur hasard, au désespoir ? ou plutôt ne serait-ce point la récompense du crime ? car si c’était là le prix de la vertu, mes frères, j’y renoncerais, et vous y renonceriez tous, etc. » — Dieu merci, ce brave curé ne vient pas, comme son confrère, prôner l’inceste et la simonie : il n’est que matérialiste.

Dans un autre récit du même journal et sous ce titre emprunté à la phrase favorite du principal personnage : Comment peut-on être meilleur fils ? apparaît un type d’un réalisme plus brutal encore. Un paysan nègre néglige depuis long-temps, pour sa vieille mère infirme, ses ignames et ses bananes. Il ne se préoccupe pas, à la vérité, de pourvoir à la guérison de celle-ci ; mais en revanche voilà un an qu’il a fait coudre son suaire, voilà un an qu’il s’est procuré « les cabris, les porcs, les poulets, les dindes » destinés au repas des funérailles, un an que (suivant l’usage du pays) il amasse une collecte pour les frais de l’enterrement, et, se jugeant surabondamment en règle avec ses devoirs de fils, il insinue, avec une jovialité mêlée d’humeur, à la pauvre vieille, qu’elle ne pourrait pas mieux reconnaître de si tendres soins qu’en quittant au plus tôt ce bas monde. La malheureuse mère le maudit. Prières et récriminations du fils, à qui cette malédiction ne cause pas moins d’étonnement que de terreur, car enfin « comment peut-on être meilleur fils ? » Quel autre se mettrait plus soigneusement en mesure d’enterrer sa mère ? « J’ai supporté, » ajoute-t-il dans l’amertume de son cœur filial aigri par tant d’ingratitude, «j’ai supporté bien des privations à cause de vous ; tout autre, ma mère, moins religieux, vous eût laissée tranquillement couchée sur votre natte à crier miséricorde à Dieu, à tourner et retourner sans cesse vos jambes emmaillottées. Il eût peut-être mieux fait : en guise d’aller vous nicher comme une madone dans un bord de sac à paille[1] et mettre des pierres dans l’autre, il se serait muni d’une charge assortie d’ignames, de mirlitons, de bois-pin et d’huile. Au fait, qu’est-ce que je gagne à vous mener ainsi par les grands chemins ? Tout le monde se prend à rire à vous voir assise avec peine dans votre voiture. Sur ma foi, on me tient pour un étrange marchand qui s’en va vendre la vieillesse en plein marché ! » Dans le tumulte de la cavalcade qui revient du marché, la vieille est atteinte d’un vigoureux coup de bâton, et, au cri de douleur qu’elle jette, le fils se réveille dans la brute ; — mais, s’apercevant que l’involontaire agresseur est une jolie fille, il prend presque parti contre sa mère, qu’il engage à dissimuler ses souffrances

  1. Double panier disposé sur des bêtes de somme de façon à ce que les deux parties se fassent réciproquement contre-poids. C’est le cacolet des muletières basques.