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Et tout cela, bon Dieu ! parce que M. Dumeste n’avait trouvé qu’Ismaïlofe pour rimer à Christophe. M. Dumeste s’essaie aussi à l’épopée nationale dans une centaine de vers qu’il consacre au nocturne conciliabule d’où sortit l’insurrection noire de 1791 :

A travers les sillons par la foudre tracés.
Où brille la lueur de cent feux éclipsés.
Des groupes d’opprimés s’assemblent en silence ;
Ils prosternent leurs fronts, invoquant l’assistance
Du Dieu qui réveilla, chez un peuple vaillant.
L’illustre Spartacus, etc.

Et une fois dans la donnée latine, il oublie le Morne-Rouge pour « l’Attique » et « l’Ausonie, » transformant impitoyablement le papa vaudoux en sacrificateur antique, les sorcières en pythies, et l’ouragan, ce fatidique ouragan qui vint couvrir de ses fureurs complices les mugissemens précurseurs de cette tempête humaine, en jeux de Borée que gronde la nymphe épouvantée. De toute la fantasque et lugubre mise en scène des mystères vaudoux, — longue plainte des lambis, rondes magiques, chants incompris, brusques et mornes silences qu’interrompaient seuls de leur cabalistique dialogue le glas espacé des tambours, le cri aigre des coqs blancs et le miaulement des chats noirs, — de tout ce qui est enfin le sujet même, pas un mot ; cela ne rentrait pas évidemment dans le genre noble. — injuste et mauvaise chicane que je fais là pourtant ! En voudrions-nous au ménétrier de village, dont l’initiation s’est bornée à la routine lentement et péniblement acquise de la contredanse classique, de ne pas deviner d’emblée le Freischütz ? Dans la mesure des talens, il faut tenir compte du point de départ aussi bien que du point d’arrivée, et si l’on songe que M. Dumeste appartient à cette période d’isolement intellectuel absolu dont j’ai raconté déjà les misères et les expédiens, si l’on songe qu’il a dû se former tout seul, sans autre guide que sa confiante vénération pour les quelques tomes dépareillés de littérature tragique, philosophique et mythologique échappés à l’auto-da-fé de 1804, ce n’est pas de ses baroques pastiches, c’est de ses rares velléités d’originalité et d’inspiration personnelle qu’on aura droit de s’étonner. Ici même, le poète tente un moment de s’insurger contre l’imitateur. Par un naïf compromis entre la tradition classique et le sens commun, il refait sous forme de note, en vers créoles, le discours en vers français qu’il vient de mettre dans la bouche du chef Boukman, et réduit là, bon gré mal gré et faute de modèles, à s’inspirer du sujet seul, il trouve des couleurs pleines de vérité et d’énergie. Une remarque analogue pourrait s’appliquer à son contemporain M. Lhérisson, charmant poète créole, qui devient flaspue et commun dès qu’il aborde l’alexandrin français.