Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/1078

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pays. Suivant les us de l’école, M. Romane nous introduit dans les conseils d’en haut, où il fait décider en séance solennelle la chute de Napoléon et le retour des Bourbons, qui doivent donner la paix à Haïti; mais, par une innovation souverainement hardie pour le pays et pour l’époque, l’olympe de la fiction ne tressaille qu’à la voix du Dieu chrétien. Les dieux s’en vont; le souffle nouveau commence à pénétrer là. — À ce souffle avait éclos, moins de dix ans après, tout un volume de poésies dont se ferait honneur la librairie parisienne, un volume qui est encore à éditer, et dont la première page m’offre cette fraîche et délicate vignette :


A UNE ENFANT.

Sur sa natte de jonc qu’aucun souci ne ronge.
Ses petits bras croisés sur un cœur de cinq ans,
Alaïda sommeille — heureuse! et pas un songe
Qui tourmente ses jeunes sens!

Ce cœur sans souvenirs, cette ame que ne ride
Nulle pensée humaine, et ce tendre souris
Que Fange eût envié, cet air pur et candide.
Ces douces, ces paisibles nuits

Sont aux enfans! L’enfance est l’on de bleue et claire
Qui dort au pied d’un roc dans son bassin d’argent.
Que font à l’humble flot les vents et le tonnerre.
Et les soupirs de l’Océan?

La même inspiration douce, facile et sereine, se retrouve dans la pièce suivante. Si je multiplie les citations, c’est qu’il s’agit, encore une fois, du premier véritable poète que je rencontre ici, et d’un poète entièrement imprévu ; car son nom, — rare bonheur pour lui, — n’a pas même été défloré par l’écrasante admiration des négrophiles :

<poem>Le vent frais de la nuit fait palpiter les voiles. Le marin sur les mers t’appelle, Amélia! Vois comme ton esquif est couronné d’étoiles. Dieu te ramènera.

O vague! ne soyez qu’une mourante lame A la nef qu’embellit la brune qui s’en va; La nef l’emporte en vain : ame, sœur de mon ame, Dieu te ramènera.

Hélas! adieu! Saint Marc, étonné de ses charmes, La prendra pour un ange et se prosternera! Moi, je reste et je pleure. Oh ! pourquoi tant de larmes? Dieu la ramènera.

Après les amoureuses sérénades, la tristesse, — cette vague tristesse de poète qui, comme le demi-brouillard d’automne, amplifie et