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Vivre jusques au jour où la tombe remporte,
Jusqu’à ce que le cœur
Plonge sans remonter et se noie et s’abîme;
Alors c’est le repos éternel et sublime,
Alors c’est le bonheur.

Il s’appelait Coriolan Ardouin. Dans ces échos perdus de Millevoye et de Lamartine, où est, dira-t-on, l’originalité? où est le cachet local? — En vérité, je ne les y ai même pas cherchés. Coriolan Ardouin n’avait pas encore eu le temps de demander des impressions à la nature extérieure; sa poésie est restée jusqu’à la fin essentiellement intime, et si elle ne trouve que des notes déjà entendues, c’est qu’apparemment le cœur bat à peu près de même à Port-au-Prince et à Paris. J’avais, en un mot, la prétention de montrer ici un poète haïtien et non pas la poésie haïtienne.

Patience cependant : la voici chez Ignace Nau, un poète de la même époque, à peu près du même âge, mort prématurément comme Coriolan Ardouin, mais qui a eu dix ans de plus que lui pour interroger les filons inexplorés de la littérature locale. En vers comme en prose<ref> Outre ses essais de littérature de mœurs, M. Ignace Nau a, publié dans son journal l’Union de remarquables articles où il prêche en théorie les tentatives littéraires qu’il prêchait ailleurs d’exemple. <<ref>, c’est aux paysages, aux mœurs, aux passions, aux rêves, aux rugissemens, aux silences, aux murmures, aux ombres crues et aux ruisselans soleils de la zone torride qu’il demande des inspirations; car, si sa poésie franchit parfois la mer des Antilles, c’est pour aller guetter sur les grèves africaines quelqu’une de ces sombres ou gracieuses silhouettes qui passent et repassent dans les Orientales. J’ai nommé le péché d’Ignace Nau; mais ici du moins l’imitation n’est plus ni gratuite ni à contre-sens : elle est en quelque sorte amenée par le sujet même. Tant pis pour le poète des Orientales s’il a si admirablement deviné ce que voit, ce qu’entend, ce que touche le poète de l’Union, qui, après tout, est bien chez lui, et qui s’y comporte, du reste, en maître de maison fort respectueux. Ignace Nau fait réellement son possible pour ne pas coudoyer ce dangereux hôte, cherchant dans les mille combinaisons du rhythme et de l’image un petit coin où se garer. Ce n’est pas toujours sans succès. Il y a, par exemple, une certaine hardiesse d’imprévu à faire passer dans la froide et rigide sculpture du sonnet ce chaud frisson des nuits tropicales :

O ma belle de nuit, ferme, ferme ta robe.
Car la lune est bien pâle à l’horizon du soir;
Retiens les doux parfums de ton pur encensoir.
Le matin est éclos dans les regards de l’aube.