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L’ÉMIGRATION EUROPÉENNE DANS LE NOUVEAU-MONDE

arrivaient à la frontière non-seulement des passe-ports en règle, mais encore la représentation de leur billet d’embarquement payé à l’avance et la preuve qu’ils possédaient une somme suffisante pour acquitter leurs dépenses de route jusqu’à la mer. Ces mesures, justifiées par une nécessité évidente, ont éloigné de notre territoire, au profit de la voie du Rhin et des ports belges ou hollandais, une partie de l’émigration allemande. Aujourd’hui que Strasbourg et le Havre sont directement reliés par les chemins de fer, on jugera sans doute à propos de tempérer la rigueur des règlemens, car les émigrans qui montent dans le wagon à la gare de Strasbourg sont amenés rapidement et en quelque sorte sans toucher terre au quai du Havre, et la police n’a plus à surveiller que le point de départ et celui d’arrivée. Les profits que les compagnies retireront du transport des Allemands et des Suisses ne seront pas à dédaigner ; en même temps, la clientèle régulière de ces nombreux passagers accroîtra l’importance de notre principale place de commerce sur l’Océan. Dans cette prévision, il semble urgent de compléter, pour l’ensemble de l’émigration transatlantique, le décret du 27 mars 1852, qui a réglementé les transports des passagers à destination de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de l’île de la Réunion.

Quand on contemple l’élan irrésistible qui entraîne une fraction si considérable de la grande famille germanique, on demeure à bon droit saisi d’étonnement. Pour les peuples qui habitent les côtes, l’émigration est un fait naturel et simple ; les relations établies par le négoce, la vue continuelle des navires qui abordent ou qui partent, et surtout la perspective de cet océan sans cesse agité dont l’imagination se plaît à suivre sous d’autres cieux les vagues voyageuses, provoquent et entretiennent les idées d’expatriation. Ici nous nous trouvons en présence de populations méditerranéennes qui désertent leurs champs et leurs montagnes, franchissent péniblement de vastes espaces, traversent des territoires étrangers et n’hésitent pas à braver les périls des mers. Il faut que l’attrait soit bien puissant ou la nécessité bien impérieuse. À quelle limite s’arrêtera ce grand mouvement ? Nul ne saurait le prévoir. L’Allemagne n’a point de colonies, mais elle envoie dans le Nouveau-Monde une race virile qui paie noblement son tribut à la loi du travail et qui honore l’émigration européenne.


III. — L’EMIGRATION EUROPEENNE AUX ETATS-UNIS.

Les hommes d’état qui, depuis la lutte glorieuse de l’indépendance, ont présidé avec tant de sagesse et de succès au développement de l’Union, n’ont jamais perdu de vue les élémens de richesse, de force et de grandeur qu’apportaient au sein de leur jeune république les populations de l’ancien monde. Ils se sont donc appliqués, dès le principe, à attirer les étrangers, soit en facilitant l’acquisition de la propriété foncière, soit en accordant avec un extrême libéralisme la naturalisation, ainsi que la jouissance des droits politiques et civils. Aussi la population émigrée, qui, en 1790, ne dépassait pas 4 millions d’ames, s’élevait-elle, en 1820, à près de 10 millions, et dans ce dernier chiffre les étrangers d’origine figuraient pour 1,500,000. On reconnut cependant que la colonisation ne pouvait être absolument livrée au hasard. La première loi du